C'était le bar où Ritsuko et elle allaient boire ensemble d'habitude, même si ce soir Misato était seule. Ritsuko travaillait cette nuit mais Misato savait que Kaji était toujours prêt à l'accompagner dans ce genre d'endroit.

Ha! Et puis quoi encore!

La jeune femme avait donc décidé d'aller s'amuser toute seule pour se remettre d'une autre journée éreintante à la NERV. Elle avait toujours imaginé que les monstres géants seraient la partie la plus stressante de son travail, mais la tonne de paperasse qu'elle avait dû affronter aujourd'hui lui avait prouvé le contraire.

"Salut, Jimmy."

"Salut, Misato. Qu'est-ce que se sera, ce soir?"

"Vodka martini. Secoué, non agité."

"Ca arrive tout de suite."

Quelques instants plus tard, Misato avait son martini à la main et observait d'un air détaché les lumières de Tokyo-3 par la fenêtre. Elle était à deux doigts d'atteindre l'état d'inactivité cérébrale le plus total auquel un être humain pouvait espérer aboutir. Si elle avait été une disciple des croyances Zen, cela aurait été un accomplissement. Mais pour Misato, c'était juste un moment de calme total, bientôt interrompu par la musique du chanteur du cabaret.

o/~ We've got stars directing our fate ~\o
o/~ And we're praying it's not too late ~\o
o/~ Cos we know we're falling from grace ~\o
o/~ Millennium ~\o

Misato cligna des yeux. Quelque chose la troublait, quelque chose dans cette chanson...

o/~ And when we come we always come too late ~\o
o/~ I often think that we were born to hate ~\o
o/~ Get up and see the sarcasm in my eyes ~\o

Les sourcils de Misato se froncèrent et elle se tourna pour voir qui était au piano. C'était un pianiste plutôt ordinaire, très banal physiquement et visiblement d'origine moyenne-orientale qui chantait nonchalamment son morceau.

o/~ And when we come we always come too late ~\o
o/~ I often think that we were born to hate ~\o
o/~ Get up and see the sarcasm in my eyes ~\o

o/~ We've got stars directing our fate ~\o
o/~ And we're praying it's not too late ~\o
o/~ Cos we know we're falling from grace ~\o
o/~ Millennium ~\o

Après avoir fini sa chanson, il fit une légère pause et dévisagea Misato. Misato se sentit soudain étourdie et eut même un léger vertige quand elle le regarda droit dans les yeux. Elle aurait juré y avoir vu des étoiles.

Puis il fit un clin d'œil à Misato, avant de partir avec un sourire espiègle sur le visage.

Misato continua de regarder la chaise vide du pianiste un instant pendant que tous les rouages de son cerveau se remettaient en marche. Elle avait l'impression que l'univers essayait de lui dire quelque chose de très important, ou quelque chose dans ce genre.

Noooon.

"Hé Jimmy, sers-m'en un autre."

"Tout de suite, Misato."

"Dis-moi, qui c'était le type au piano?" demanda-t-elle au barman pendant qu'il lui préparait son cocktail.

"Un remplaçant qu'on a embauché pour jouer pendant qu'Akio est en vacances. Neil O'Tip, qu'il s'appelle."

"Neil O'Tip? Il n'a vraiment pas l'air irlandais."

Le barman haussa de nouveau les épaules. "En ce qui me concerne, tant qu'il sait jouer, je le paye."

Le barman continua la préparation du cocktail et Misato se mit à fredonner l'air puis les paroles de la chanson.

o/~ We've got stars directing our fate ~\o
o/~ And we're praying it's not too late ~\o
o/~ Cos we know we're falling from grace ~\o
o/~ Millennium ~\o

Elle dut l'admettre, c'était un air terriblement entraînant.


_*_

John Biles & Rod M. Présentent
Un Univers Parallèle à Evangelion
Enfants d'un Très Ancien Dieu
Chapitre 9 : Le Roi en Jaune

_*_


Namura-sensei sifflait joyeusement en fouillant la bibliothèque, feuilletant livre sur livre.

La représentation théâtrale annuelle de l'école était pour bientôt et il était responsable du choix de la pièce. Que jouer, mais que jouer?

Roméo et Juliette avait été monté trop souvent, même si c'était un classique. Il pensait que Shakespeare devenait un peu trop surexposé. Les enfants aimeraient certainement quelque chose de nouveau.

Oh, mais qu'est-ce c'est?

Un livre poussiéreux attira son attention ; sa couverture jaune brillait comme un phare à travers la nuit. Le livre semblait presque l'appeler.

Il le retira du rayonnage et l'ouvrit à la page de garde pour pouvoir en lire le titre.

LE ROI EN JAUNE

Hmm. Voilà, un titre éloquent.

Il parcourut lentement les pages, fasciné par le texte.

Fascinant. Oui, parfait.

Cette pièce conviendrait parfaitement.

Il referma le livre et s'éloigna joyeusement, sa mission du jour accomplie. Quelques rangées plus loin, quelqu'un vit l'enseignant partir avec le livre. Quelqu'un qui eut un sourire féroce avant de disparaître.

_*_

Gendo fronça les sourcils en lisant le rapport. Ces imbéciles de l'ONU n'avaient pas réussi à empêcher le vol d'une bombe N2 par un groupe de terroristes. Et pour rendre les choses encore plus inquiétantes, plusieurs des gardes de la bombe avaient été retrouvés transformés en flaques de chair humaine et seuls les tests ADN avaient permis de les identifier.

Cela ne pouvait signifier qu'une seule chose. Très bien. Au moins sept groupes différents étaient capables de faire ça à quelqu'un. Probablement plus si un autre abruti congénital avait de nouveau mis les Manuscrits Pnakotiques sur Internet.

Il y avait, cependant, d'autres facteurs qui le poussaient à croire que les imbéciles qui avaient été derrière l'attaque des Chérubins étaient aussi responsables de ce vol. Tout d'abord, ils étaient dans sa courte liste de 'gens qui peuvent réduire les gardes en pulpe d'orange'. Deuxièmement, il y avait eu cette tentative récente de voler Stonehenge. Pourquoi diable ces crétins ne se contentaient pas d'acheter quelques blocs de béton et un peu de ciment... il ne le comprenait pas. Mais là encore, les cultistes et autres sectateurs dégénérés n'étaient pas réputés pour leur intelligence et leur rationalité hors du commun. Et finalement, c'était juste une question de timing. Les prophéties indiquaient clairement que leur maître frapperait bientôt.

Gendo regrettait juste que les prophéties n'indiquent pas clairement OU.

_*_

"Je déteste les devoirs de documentation."

Shinji ignora les protestations de Touji. C'était facile à faire, vu que le garçon répétait la même phrase depuis leur entrée dans la bibliothèque.

"Je déteste les devoirs de documentation," dit de nouveau Touji en saisissant un livre sur une étagère et en le jetant violemment sur la pile déjà grande que portait Shinji.

"Hé!"

"Je déteste déteste déteste déteste les devoirs de documentation," grommela Touji, juste pour mettre les choses au point. Le duo rejoignit la table où Kensuke était assis et s'y arrêta, Touji s'effondrant dans une chaise et Shinji renversant maladroitement son tas de livres sur la table en s'y asseyant.

"Je déteste déteste déteste détes- hé... qu'est-ce que tu lis?" demanda Touji. Il examina attentivement les cinq livres ouverts devant Kensuke ainsi que le bloc-notes que son ami était en train de noircir. Un des livres attira particulièrement l'attention de Touji ; il n'était pas en japonais mais en anglais et il ressemblait à une série de coupures de journaux reliées ensemble dans une couverture rigide. Il y avait deux images à la page où le livre était ouvert : celle d'une église plutôt délabrée et celle de la même église réduite en cendres.

"J'avais décidé de faire mon devoir de documentation sur les opérations gouvernementales secrètes. Mais je n'ai rien trouvé", expliqua Kensuke.

Touji commença à rire et Shinji ne put s'empêcher de sourire. "Ca alors! Je me demande bien pourquoi!" fit remarquer Touji.

"Le professeur m'a suggéré de chercher des opérations gouvernementales anciennes que plus personne n'essaye d'étouffer aujourd'hui, ou celles sur lesquelles des informations ont filtré. J'étais en train de chercher des livres sur la façon dont l'Armée de Kwantung nous a entraîné dans la guerre contre la Chine et j'ai trouvé ça." Il désigna le livre en anglais. "Il y a plusieurs mois, un type haut placé à la NERV a fait don d'une tonne de livres à toutes nos bibliothèques et celui-ci est justement l'un d'entre eux. Ca parle du Raid sur Innsmouth dans les années 1920."

"Le quoi?" demanda Shinji.

"La version officielle parle d'un raid contre des contrebandiers, mais le type qui a écrit le livre était un des soldats qui ont participé à cette opération. Et il a publié ce manuscrit qui raconte ce qui s'est vraiment passé. Ils ont trouvé une ville sous-marine peuplée d'hommes-poissons et l'ont faite sauter!"

"Mais bien sûr!" répondit Touji. "Et je suppose que c'est la Créature du Lac Noir qui la dirigeait."

Shinji écoutait Kensuke. C'était probablement une histoire idiote, mais après avoir vu Mu, il était prêt à admettre qu'il pouvait y avoir une quelconque vérité derrière tout ça. "Il y a des photos de cette ville sous-marine?"

"Euh... non." dit Kensuke. "Mais il a fait des photos qui prouvent que le gouvernement des Etats Unis a rasé Innsmouth."

"Et ça ne prouve strictement rien pour les hommes-poissons, tu sais," fit remarquer Touji. "Je pense le prof va bien rire."

"Mate plutôt CA," répondit Kensuke en ouvrant le livre à une page qu'il avait écornée.

"Mater quoi? Touji a ramené des magazines pornos à l'école?" demanda Asuka qui était apparue juste derrière eux.

Les trois garçons sursautèrent sur leurs chaises. "Casse-toi!" dit Touji. "Nous n'avons pas de temps à perdre avec un démon de ton espèce!"

Kensuke trouva finalement la photo floue qu'il cherchait. C'était celle d'une peinture murale et c'était plutôt dur d'y voir clairement quoi que ce soit, mais elle montrait une série de créatures ailées semblables à des chauves-souris géantes. Certaines d'entre elles étaient humanoïdes mais n'avaient pas de visages. D'autres avaient de longs corps écaillés et des ailes qui semblaient trop petites pour les porter. Et certaines...

"Hé, ça ressemble aux Chérubins!" fit remarquer Asuka.

"C'était sur un des murs de cette chapelle de la 'Sagesse Etoilée' qui dirigeait secrètement Innsmouth," répondit Kensuke.

"Ils étaient de mèche avec les hommes-poissons."

Asuka se mit à rire. "Et c'est la Créature du Lac Noir qui les dirigeait, c'est ça?"

Shinji cligna des yeux. "C'est exactement ce que Touji vient de dire."

Touji et Asuka échangèrent un long regard et se tournèrent ensuite vers Kensuke. "Tu es dingue."

"Dingue, hein? Jetez un coup d'œil à CA!" Il prit un autre livre, 'Les Légendes des Inuits'. "Il y a toutes ces histoires sur le Wendigo qui vit dans le grand Nord et court partout pour dévorer des cœurs humains. Il contrôle la glace et la neige et..."

Touji roula les yeux. "Et il est allié aux hommes-poissons?"

"Ca ressemble beaucoup à l'Ange de l'Hiver, hein?" fit remarquer Kensuke.

"Ouais, mais il aurait fallu qu'il soit là depuis des milliers d'années pour générer toutes ces légendes," répondit Touji. "Et pourquoi aurait-il attendu si longtemps pour attaquer Toronto?"

"Je ne sais pas, mais vous ne vous êtes jamais demandés pourquoi il a fallu quinze ans pour que les machines de guerre aliens se réveillent? Et pourquoi elles ne se réveillent pas toutes ensemble? Et pourquoi elles ne coopèrent pas? Il y a des trucs pas nets qui se passent en ce moment."

Asuka acquiesça silencieusement. Il se passait vraiment des choses étranges. Qui avait creusé ce tunnel dans la tanière de Rahab grâce auquel ils s'étaient échappés? Qui avait fait ces lumières? Et ces souvenirs qu'elle avait eu... Si Rahab était vraiment aussi vieux que ça, il ne pouvait pas être une machine de guerre alien. Mais s'il ne l'était pas... Alors qu'était-il VRAIMENT? Qu'étaient vraiment les Anges? Elle écouta Kensuke parler pour ne rien dire et commença à réfléchir sérieusement.

_*_

"Bonjour, Rei."

La jeune albinos cligna des yeux et sembla hésiter avant d'entrer dans la salle d'examen. Normalement, c'était Maya qui supervisait ses tests et la présence du docteur Akagi troublait la jeune fille.

Ritsuko se demanda si Rei allait lui demander où était Maya. Au lieu de cela, mais après un autre bref moment d'hésitation, la jeune fille hocha la tête, s'assit sur la table d'examen et commença à se déshabiller.

"Maya m'a dit que tu t'étais sentie bizarre récemment", dit Ritsuko tandis que les scanners commençaient leur travail sur Rei. "Tu as toujours ce problème?"

Rei acquiesça et sembla encore plus réservée que d'habitude.

"Tu comprends bien que tu ne dois pas blesser Langley."

Rei hocha la tête encore une fois.

"Rei... Dis-moi...Tu ressens le besoin d'être avec Shinji?"

Elle hésita durant sa réponse et détourna ses yeux de Ritsuko. "Je... oui."

"S'il était ici maintenant, que ferais-tu? Que lui dirais-tu?"

Le visage de Rei afficha de subtils signes de frustration et elle répondit dans un chuchotement à peine audible. "Je ne sais pas."

Le docteur soupira. Durant toutes ces années et avec tous ces entraînements qu'ils lui avaient donnés, ils l'avaient toujours considérée comme un pilote et jamais comme un individu. Et donc personne n'avait jamais préparé Rei à affronter ce genre de problème.

Mais... pourquoi maintenant? Pourquoi Shinji? Rei allait à l'école depuis un certain temps après tout, même si Ritsuko ignorait la raison pour laquelle la NERV se donnait cette peine. Peut-être était-ce leur maigre tentative de lui donner une éducation normale?

Cela faisait un sacré nombre de questions, en réfléchissant bien.

Et elle n'avait pas la moindre réponse. Rei avait clairement besoin de l'aide d'un adulte et elle n'avait aucune figure maternelle dans son entourage.

Une figure maternelle...

Mère...

Ritsuko fronça aussitôt les sourcils et repoussa les souvenirs indésirables d'une époque résolue. Sa mère était-

Non.

Elle refusait d'y penser.

Ritsuko soupira.

"Comme Maya te l'a dit, tu ne dois tuer personne. Va voir Maya tous les deux jours, arrange-toi avec elle pour l'horaire. Et..."

Et quoi?

Ritsuko était sûre qu'elle aurait dû en dire plus, mais elle ignorait totalement ce qu'elle pouvait ajouter.

"... et c'est tout."

Après avoir hoché la tête en silence, Rei se leva de la table d'examen et se rhabilla avant de partir.

_*_

Complètement épuisé, Shinji s'était couché en décidant de ne pas faire son 'entraînement au rêve'.

Quels que seraient les rêves qu'il allait avoir, il était décidé à les affronter.

Et le songe qu'il fit lui parut extrêmement familier.

Quand les yeux de Shinji se rouvrirent dans son rêve, un pétale de cerisier passa devant lui.

Une légère brise souffla et soudain l'air fut rempli d'une infinité de pétales roses qui s'envolèrent à travers un ciel parfaitement bleu.

Shinji regagna finalement suffisamment de présence d'esprit pour regarder autour de lui et il se rendit compte qu'il était dans une forêt pleine de cerisiers. Le temps était doux et très agréable et la brise s'était transformée en caresse très agréable.

"Ikari."

Il se tourna vers l'endroit d'où l'on venait de chuchoter son nom et aperçut une léger rougeoiement dans l'ombre des l'arbres. Un instant plus tard, Rei apparut derrière l'arbre, habillée dans une robe bleue. Il y avait cependant quelque chose de différent chez elle, quelque chose que Shinji n'avait jamais vu auparavant sur le visage de la jeune fille: elle semblait incertaine, inquiète et ses sourcils légèrement froncés trahissaient sa nervosité.

"A-Ayanami. Euh... bonjour."

Il ne put s'empêcher de remarquer qu'elle rougissait et semblait chercher ses mots.

Shinji regarda autour de lui encore une fois en se grattant la tête. "Euh... C'est un très bel endroit."

"Tu aimes?" demanda Rei.

"Oui, je pense. J'ai une impression de... déjà vu."

"C'était dans le film."

"Le film?"

Rei hocha la tête sans en dire plus mais Shinji finit tout de même par comprendre.

"Oh, tu parles de ce film. 'Fleurs de cerisier du printemps', c'est ça?"

Rei hocha de nouveau la tête. "Je... souhaite comprendre les gens", ajouta-t-elle. "Te comprendre."

"Oh." Shinji parut nettement surpris. "Alors... Que faisons-nous maintenant?"

Rei haussa les épaules. Shinji se rendit compte qu'il devait prendre l'initiative et c'était quelque chose dont il n'avait pas du tout l'habitude.

"Et...si... nous faisions une promenade?" suggéra Shinji.

Rei acquiesça encore une fois. Et à la grande surprise de Shinji, elle passa son bras sous le sien et posa sa tête sur son épaule quand ils commencèrent à marcher.

"R-Rei?"

Elle le regarda avec des yeux curieux. Son visage était tout près de celui de Shinji, beaucoup trop près pour que le garçon se sente à l'aise, et ses lèvres...

"Q-Qu'est-ce que tu... Je veux dire..."

"Les gens marchaient comme ça", expliqua Rei. "Dans le film."

"Oh."

Ils traversèrent la foret et arrivèrent sur une très belle esplanade remplie de couples dont Shinji n'arrivait pas à discerner les visages. Ils marchaient tous bras dessus bras dessous. On pourrait entendre au loin les bruits d'une fête foraine et plus près des rires d'enfants et des chants d'oiseaux, bien que ni l'un ni l'autre n'étaient visibles.

"Rei?"

Elle resta à nouveau silencieuse, comptant apparemment sur lui pour faire la conversation.

"Pourquoi veux-tu me comprendre?"

"Parce que", lui répondit-elle de nouveau en chuchotant, "je veux être avec toi."

L'idée même qu'une fille puisse éprouver un désir si intense d'être avec lui était totalement étrangère à Shinji. Sa première pensée fut qu'il devait partir en courant, mais il la repoussa rapidement. Il ne pouvait pas s'enfuir car Rei s'accrochait fermement à son bras.

Et puis quel mal y avait-il à ce que Rei pense à lui de cette façon? En y réfléchissant bien, Shinji se rendit compte que cela pouvait bien ne pas être une si mauvaise chose, après tout.

Et puis, c'était juste un rêve.

Tout cela n'avait pas la moindre importance.

Ils traversèrent bientôt un splendide pont en bois sculpté qui traversait une rivière à l'eau magnifiquement claire. La promenade de Shinji fut soudainement interrompue quand Rei s'arrêta net... tout en s'accrochant fermement à son bras.

"Rei?"

La fille sembla de nouveau troublée et jeta un rapide coup d'œil tout autour d'elle. "Dans le film," dit-elle lentement comme si elle pesait chaque mot, "je n'ai pas compris."

Shinji sursauta. "Tu n'as pas compris?"

Rei hocha la tête. "Ca", ajouta-t-elle. Shinji ne comprit que quand elle avança lentement ses lèvres vers les siennes pour l'embrasser.

"Rei..."

"DEEEEEEEEEEEEEEEBBBBBBBOOOOUUUUT DUMMMMKOOOOOOOOOOOOPF!!!"

"Aaaaaaaah!"

_*_

Shinji tomba de son lit en poussant un cri d'indignation, emportant avec lui sur le sol tous ses draps. "Que-quoi?!"

La voix puissante et autoritaire d'Asuka lui fit clairement comprendre la situation. "Dépêche-toi, nous allons être en retard!"

"D'accord! Sors de ma chambre que je puisse m'habiller!"

Toujours à moitié endormi, Shinji poussa une Asuka plutôt amusée par la situation hors de sa chambre et commença à se préparer.

Il avait l'étrange impression d'avoir manqué quelque chose d'important, mais vu l'état embrumé dans lequel était son cerveau, il ne réussit pas à savoir quoi.

_*_

Plus tard ce jour, là...

Asuka raccrocha le téléphone et se mit à danser. "Woohoo! Il a dit oui! Il a dit oui!" Hikari et elle se tapèrent dans les mains. "Alors qui vas-tu inviter?"

À l'origine, Asuka avait projeté de faire un double rendez-vous entre Kaji et elle avec Shinji et Rei. Mais le docteur Akagi lui avait dit que Rei allait être très occupée durant son temps libre et participerait à toute une série de tests et autres expériences. Alors elle avait convaincu Hikari de l'accompagner. Mais Asuka n'avait pas la moindre idée de l'identité de celui qui accompagnerait son amie. Elle voulait cependant que Hikari vienne: elle ne se sentait pas tout à fait prête pour sortir seule avec Kaji, même si elle ne l'aurait jamais ouvertement admis.

"Et bien...", dit lentement Hikari qui n'avait pas besoin d'être un génie pour savoir comment réagirait son amie pilote. "Je pensais demander à Touji", finit-elle par avouer rapidement.

"TOUJI?" Les cheveux d'Asuka se seraient tous dressés sur sa tête si cela avait été possible. "Mais c'est... un sale porc machiste totalement idiot!"

"Non! Pas du tout! C'est un gentil garçon quand tu ne le harcèles pas!"

"Un gentil garçon? C'est un idiot de sexiste! Je n'arrive pas à trouver d'autre mot que 'crétin' pour le décrire!"

Hikari s'emporta. "Il va rendre visite tous les jours à sa sœur qui est à l'hôpital. Il n'aime pas le montrer devant tout le monde, mais c'est un garçon très attentionné."

"Il est affreusement grossier! Il se peut qu'il se soucie de sa sœur, mais c'est bien la seule personne dont il se préoccupe!"

Hikari fronça les sourcils. "Tu es loin d'être un modèle de compassion et de charité, Asuka. Je ne te savais si préoccupée par le bonheur de tous tes semblables."

"Tu sais très bien ce que je veux dire! C'est juste un voyou! Je sais même pas pourquoi Shinji passe tant de temps avec lui."

"Ce n'est pas un voyou! Quand a-t-il frappé quelqu'un?"

"Mis à part Shinji?"

"Ils ont fait la paix et sont amis, maintenant! Pourquoi tu n'arrives pas TOI à faire la même chose?"

Asuka voulut répliquer mais soupira. Elle ne voulait pas se battre avec Hikari pour ça. Touji était un très mauvais choix pour une fille comme elle, mais Hikari ne s'en rendrait jamais compte. 'Je ne peux pas croire qu'elle aime ce type', se dit Asuka. "Très bien, j'essayerai de m'entendre avec lui, mais..." C'est une tête de mule, finit-elle mentalement.

'Moi aussi, je n'aime pas ton choix', pensa Hikari. 'Comment peux-tu aimer ce type? C'est juste un playboy. Ca va être une horrible erreur. Mais ça me donne une excuse pour demander à Touji de sortir avec moi, alors...' "D'accord. J'en parlerai à Touji dès que je le verrai."

_*_

Cette fois, Asuka avait choisi le mauvais champ de bataille pour l'affronter, ou du moins c'était ce que pensait Touji.

Avec une détermination évidente, il traversait à grands pas les halls de l'école, le ballon de basket à la main et les chaussures lacées très serrés. Cette démoniaque bouffeuse de choucroute s'était de nouveau disputée avec lui aujourd'hui et leur querelle avait pris fin quand Asuka l'avait défié dans un match de basket à un contre un.

HA!

Touji Suzuhara, la star de l'équipe de basket-ball, battu dans un match à un contre un? Ca ne s'était jamais produit auparavant, et ça n'allait pas arriver aujourd'hui.

HAHA!

Oh oui, cette fois, elle avait choisi le mauvais champ de bataille.

"Touji?"

Il allait l'écraser à grand renfort de dunks, il-

"Suzuhara!"

Le cerveau de Touji dérailla quand le garçon se retrouva soudain face à Hikari.

"Euh, que, euh, hé," réussit-il à dire. "Ah euh, j'ai encore fait quelque chose de mal?"

"Et bien, non," répondit Hikari. "Je voulais juste... Je..."

"Heu, Hikari, tout va bien?" demanda Touji.

"Euh, c'est juste que... Tuveuxbienalleràunesoiréeavecmoi?"

Touji sursauta.

"Un rendez-vous?"

Hikari se mit à rougir profondément et à trembler avant de hocher la tête.

"Tu veux dire... toi et moi?"

Hikari hocha de nouveau la tête, un sourire timide sur le visage.

"Je... Euh... Ouais...Bien sûr", répondit-il, toujours stupéfié par cette idée.

Un feu d'artifice d'émotions explosa sur le visage d'Hikari. "Vraiment?!"

"Euh, oui."

"Génial!" s'exclama Hikari. "Je... euh... on en reparlera au téléphone plus tard, d'accord?"

"D'accord."

Hikari s'éloigna avec une énergie décuplée. Le sourire sur son visage était difficile à ignorer. Pendant ce temps, Touji était toujours un peu stupéfié et pas du tout certain de comprendre ce qui venait de lui arriver.

Il avait apparemment un rendez-vous.

Avec Hikari.

C'était cool.

Euh...

Ouais, c'était cool.

Il se mit à faire des dribbles avec son ballon de basket en retournant dans les vestiaires. Puis il essaya vainement de se rappeler ce qu'il avait voulu faire avant qu'Hikari vienne l'interrompe...

'Et bien, c'est pas grave. Si c'était vraiment si important, je serais capable de m'en rappeler.'

_*_

Pendant ce temps là, sur le terrain de basket...

"TOUJIIIII! AMENE TES FESSES DE DEBILE QUE JE PUISSE LES BOTTER!!! AAAAAAARGH!"

_*_

Le centre de commandement de la NERV était faiblement éclairé et baignait dans une lumière rouge qui remplissait l'air de tension. Des projections holographiques gigantesques affichaient de nombreuses informations : la vue satellite d'un petit bâtiment en bois perdu au milieu d'une forêt, la transmission d'une mini-caméra attachée au casque d'un soldat, un radar, divers détecteurs et beaucoup d'autres informations relatives à l'opération en cours.

Misato surveillait attentivement tous ces écrans et elle était elle-même surveillée par Gendo.

"C'est l'endroit où ils ont amené la bombe N2?" demanda Fuyutsuki.

"Si nos sources sont correctes", répondit Gendo. "Avons-nous reçu la confirmation?" demanda-t-il, sa voix résonnant dans le centre de commande.

"Nous y travaillons", répondit Misato.

Après plusieurs secondes d'attente plutôt crispantes pour leurs nerfs, une voix déformée par les interférences radio brisa le silence.

//"Mo--ieur, c'e-t co-f-rmé. Sign--ure -nergé-ique d- la N2 dét--té-. Tr-s faib--, proba--ement sou- te-re."//

"Beau travail", répondit Katsuragi. "Des signes de vie?"

//"Quelq--s une-, et cer--nes sont trè- étra--es, Ca-it--ne."//

Une série de diagrammes, de graphiques et quelque chose qui ressemblait à une chaîne ADN apparurent légèrement déformés par la transmission sur un des écrans holographiques à leur droite.

"C'est peut-être des Chérubins", fit remarquer Ritsuko. "Ou quelque chose que nous n'avons pas encore vu."

"Vos hommes sont prêts à passer à l'attaque?" demanda Misato.

//" O-i, -adame."//

"Faites des prisonniers si c'est possible, mais la priorité reste la récupération de la N2-"

"Attendez." La voix de Gendo résonna à nouveau dans le centre. "Avons-nous les codes?"

"Les codes?" demanda Misato.

"Je crois que nous les avons", répondit Fuyutsuki.

Gendo hocha la tête. "Capitaine, faites évacuer l'équipe. Envoyez les codes de détonation dans cinq minutes. Il n'y aura pas de prisonniers."

Misato regarda son patron, abasourdie. "M-monsieur?"

"Il ne doit pas y avoir de survivants", expliqua calmement Gendo.

"Oui... Oui, monsieur. Equipe Bravo, retournez rapidement au point d'évacuation. Nous allons tout faire sauter dans cinq minutes. Bien reçu?"

//"Roger, madame. En route-"// Le message fut interrompu par un cri perçant. //"Qu'est-ce que... A COUVERT!"// L'image satellite montrait les sept formes sombres du commando qui semblaient se débattre dans tous les sens et tirer n'importe où.

Grâce à la camera fixée sur le casque d'un soldat, ils virent un des hommes être soulevé en l'air par des mains invisibles et se débattre désespérément. Le sang jaillit de son corps quand celui-ci fut soudain violemment déchiqueté et le liquide recouvrit une masse de tentacules qui devinrent faiblement visibles.

"Equipe Bravo, que se passe-t-il?!" hurla Misato.

//"No-s som-es at-aqués! Je ne peu- pas l-s voir!"//

//"G--E OVER, -AN! GAM- --ER! -erde!"//

Les divers graphiques et schémas qui affichaient la présence des formes de vie 'angéliques' se mirent tous à augmenter de façon exponentielle. Et en même temps, les écrans qui affichaient les rythmes cardiaques et les autres signes vitaux des soldats s'éteignaient un à un.

"De nouvelles créatures vivantes viennent d'être détectées", annonça Ritsuko en étudiant les données. "Ce sont des formes de vie inconnues, monsieur."

"Envoyez les codes de détonation maintenant", ordonna Gendo.

"Mais monsieur", dit Misato. "Certains de nos hommes sont encore-"

"Envoyez les codes de détonation MAINTENANT."

"Oui monsieur." Misato dévisagea tristement Makoto et hocha la tête. Le technicien tapa la commande sur son clavier.

L'écran qui retransmettait les images de la camera sur le casque fut immédiatement rempli par un éclat de blanc avant de se remplir de neige. La vue satellite montra une boule de feu éblouissante qui émergea du sol.

"Elle n'était pas aussi profondément enfouie sous terre que je l'avais espéré", commenta Gendo. "La menace est-elle neutralisée?"

Misato regarda les divers écrans un à un : d'abord les signes vitaux des soldats, les ruines vitrifiées de la maison dans les bois et finalement les détecteurs de formes de vie 'angélique'.

"Pas de survivants, monsieur. Pas un seul."

"Bien", fit Gendo en se relevant de sa chaise. "La mission est une réussite. Ces imbéciles qui adorent Baraquiel ne le libéreront pas de cette façon. Fuyutsuki et moi partons immédiatement pour l'Antarctique. Je compte sur vous pour maintenir la discipline, Capitaine Katsuragi."

"Oui, monsieur"

Gendo et Fuyutsuki sortirent du centre de commandement.

Misato soupira. "Si ça c'est une réussite, pourquoi est-ce que je me sens aussi mal?"

"Ce n'est pas votre faute", répondit Makoto. "Nous sommes en guerre, il y aura forcement des pertes."

"Oui, je sais", dit Misato qui ne semblait pas plus heureuse à cette idée. "Je sais."

"Au moins", ajouta Maya, "ça ne s'est pas terminé comme la mission précédente."

Aoba frissonna. "Pulpe d'orange."

Misato elle aussi frissonna distinctement et Makoto saisit Shigeru par le bras avant de lui lancer un regard qui voulait clairement dire 'la ferme!'.

"Je vous laisse", annonça une Misato visiblement épuisée. "Bipez-moi si quelque chose d'anormal se produit. Allez Ritsuko, viens avec moi. Allons boire un verre."

_*_

"Je suis désolé, mais le Commandant Ikari veut que je revoie tous les rapports d'approvisionnement et d'archivage. Quelqu'un détourne ou bien gaspille du matériel." Asuka entendit Kaji soupirer à travers le téléphone. "Donc je suis obligé d'annuler notre sortie de ce soir. Désolé!"

"Mais... mais... nous l'avions prévu depuis si longtemps!" Asuka essaya de se contrôler car elle savait que Pen-Pen et Shinji la regardaient.

"Je suis désolé, liebchen. Je suis OBLIGE de relire et de vérifier toute l'intendance de la NERV durant les deux prochains jours."

"Nous avions déjà acheté les billets."

"À moins que tu réussisses à apprendre à Pen-Pen à lire et vérifier des rapports en moins d'une demi-heure... je suis désolé. Peut-être que Shinji et Rei pourront venir avec nous la prochaine fois."

Elle se mit à rire avant de soupirer. "D'accord", lui dit-elle. "Je comprends. Je trouverai quelque chose à faire ce soir. Probablement battre Shinji à un de mes jeux de plateau ou quelque chose de ce genre. Je m'en remettrai."

C'est à ce moment-là qu'elle entendit clairement la voix d'une femme à l'autre bout de la ligne. "Kaji, à qui tu téléphones? Nous devons y aller maintenant!"

Asuka eut soudain l'impression qu'on lui enfonçait un couteau en plein cœur.

"Je dois y aller, liebchen. Je te rappellerai plus tard!" Il raccrocha.

'Il... Il est avec une autre femme', se dit Asuka. Elle lutta pour rester parfaitement calme ; Shinji l'observait. Mais son corps commença à trembler légèrement et c'était un effort surhumain pour elle de conserver le peu de dignité qui lui restait. 'Il... ne me le dirait pas même en face', pensa-t-elle. 'Je n'aurais jamais cru qu'il me cacherait des choses.'

Elle raccrocha calmement le téléphone et sortit du salon. Elle ne pleura pas avant d'avoir atteint sa chambre.

_*_

Kaji soupira. 'La pauvre doit croire que je lui mens. Elle devrait s'intéresser un peu plus aux garçons de son âge, mais tout de même... Je me demande si c'est Misato qui lui a appris le "je vais bien, je t'assure, mais tout ça, c'est de ta faute!".'

"Tu as enfin fini de parler à cette gamine?" demanda le Docteur Phelps avec une très légère trace de sarcasme dans la voie. Elle posa toute une pile de dossiers sur sa table. "Ou tu aimes me voir t'attendre pendant que tu appelles tes petites amies prépubères?"

"On peut difficilement décrire Asuka comme étant prépubère."

"Tu parles en connaissance de cause?"

Les sourcils de Kaji se froncèrent et il se dit que l'enfer, c'était vraiment les autres.

_*_

Shinji, qui était un véritable maître en la matière, voyait très clairement qu'Asuka broyait du noir.

Et ça le surprenait.

Asuka n'était pas le genre de personne qu'il avait l'habitude de voir déprimer. Et il n'aimait pas la voir de cette humeur, même s'il n'arrivait pas à comprendre pourquoi. Ca l'avait déconcentré et il n'arrivait plus à faire ses devoirs, maintenant. Shinji n'avait jamais essayé de remonter le moral de quelqu'un et à vrai dire, l'idée lui était complètement étrangère jusqu'à ce jour. Mais il se dit qu'un peu de musique festive pourrait sans doute remettre la jeune fille de bonne humeur. Malheureusement, il n'avait pas de CD de ce genre.

Sa collection de partitions contenait cependant plusieurs morceaux qui pouvaient faire l'affaire. Et même si le violoncelle était loin d'être l'instrument le plus amusant, ce n'était pas non plus le plus triste. Il trouva dans ses partitions une polka et commença à la jouer. En entendant la musique, Pen-Pen commença à danser dans toute la pièce et Shinji ne put s'empêcher de rire en peu en voyant le spectacle.

Asuka arrêta aussitôt de jouer à "I Crush Your Head" et éteignit sa console Sega Octopus. "..."

"Je m'y prends bien?" demanda Shinji. "Je n'ai pas joué ce morceau depuis longtemps."

Asuka regarda Pen-Pen. "Il essaye de..."

"Je sais que je n'ai pas d'accordéon et que ça aurait été plus adapté, mais..." dit Shinji timidement. "Ou des saucisses. Et aussi qu'on est pas encore en octobre, mais..."

"Tu essaies de me remonter le moral?" demanda-t-elle. "Ou tu es devenu fou?"

"Euh, oui?" répondit-il.

"Et bien, si tu veux faire une polka..." Elle se leva et courut dans sa chambre pour revenir avec un CD dans la main. "Autant bien nous y prendre." Elle mit le CD dans le lecteur de leur chaîne hifi et une polka jouée par un orchestre traditionnel résonna dans la pièce. Asuka s'avança près de Shinji. "Range ton violoncelle."

Le garçon fut surpris. "Quoi?"

"Je vais t'apprendre à danser la polka."

"Euh... Je ne suis pas vraiment un bon danseur", lui dit-il en commençant à transpirer.

"Mais tu peux apprendre." Elle le regarda droit dans les yeux. "Tu vas apprendre."

"..."

"Bien", continua Asuka, "mets-toi ici."

"D'accord..."

"Maintenant passe ton bras gauche derrière mon dos", commanda Asuka.

"Euh, comme ça?" lui demanda-t-il en plaçant son bras dans le dos de la jeune fille avec beaucoup d'hésitations.

Asuka remarqua son malaise et sourit d'un air satisfait. "Nous dansons, ce n'est pas un rendez-vous, alors détends-toi. En plus, je n'ai d'yeux que pour Kaji", lui dit-elle d'un ton moqueur. "Maintenant tends ton bras droit."

Il tendit son bras droit et la seconde d'après, Asuka tendait son bras gauche et enlaçait ses doigts dans les siens.

Asuka fronça les sourcils. Shinji avait les mains moites.

Beurk.

Mais elle décida de faire avec.

"Maintenant, c'est toi qui conduis la danse et-"

"C'est moi qui conduit? Pourquoi pas toi? Je veux dire, je ne sais pas comment on danse la pol-"

Asuka le dévisagea en fronçant les sourcils. "Bien sûr que tu conduis, dummkopf! Tu es l'homme, je suis la femme. C'est l'homme qui conduit toujours, c'est la tradition."

'C'est bizarre', pensa Shinji. 'Asuka est rarement aussi traditionaliste.'

Elle lui expliqua les pas de base durant la première polka. À la fin du morceau, il savait non seulement danser ces pas de base mais aussi faire un mouvement de rotation d'un quart de tour à chaque série de pas, de sorte qu'après quatre mouvements, ils faisaient un tour complet sur eux-mêmes. Shinji trouvait ça amusant, même s'ils avaient failli renverser la télévision en tournoyant dans le salon.

Alors qu'ils allaient commencer leur seconde polka, il se rendit compte qu'Asuka se détendait car la poigne de la jeune fille devenait moins ferme et qu'elle commençait à sourire. Et il souriait lui aussi car même s'il avait peur de casser quelque chose dans l'appartement, il s'amusait.

C'est à ce moment là qu'ils percutèrent la table basse du salon.

Ils tombèrent à la renverse et s'effondrèrent sur le tapis, les quatre fers en l'air.

"Oh... Scheisse, espèce d'idiot maladroit, lève-toi. Tu m'écrases."

"Désolé, Asuka, tu ne t'es pas..." Shinji se figea sur place quand il se rendit compte que son visage était très proche de celui d'Asuka. Ils se dévisagèrent tous les deux sans rien dire pendant un moment. Leurs visages rougissaient à vue d'œil.

Puis Asuka tourna la tête et commença à rire.

Shinji s'assit et se mit à rire lui aussi, même s'il n'était pas tout à fait sûr de savoir pourquoi.

"Tu sais", lui dit Asuka, "on voit tout le temps ce genre de situation dans les films, non? C'est tellement cliché!" Elle se remit à rire.

"Heu, oui. C'est vrai."

"C'est une chance que nous ne soyons pas amoureux, pas vrai?" ajouta-t-elle en lui faisant un clin d'œil.

Shinji sembla très troublé pendant un court instant par ce qu'elle venait de dire, mais Asuka ne le remarqua pas. Après avoir déplacé la table un peu plus loin, ils essayèrent une deuxième polka.

Quand la deuxième polka fut finie et que le CD commença à jouer un fox-trot, Asuka le salua et fit un pas en arrière. "Merci beaucoup, Shinji."

"De rien", lui dit-il. "Hmm... Tu te sens mieux?"

"Un peu. C'est juste que je n'arrive pas à croire que..." Elle se mit en colère et lui expliqua. "Kaji, espèce d'idiot!!!!"

'Il a deux fois notre âge', pensa Shinji. "Peut-être qu'elle l'aidait juste pour son travail."

"Ouais. Ca doit être ça", répondit Asuka apparemment troublée. "Elle l'aide à faire ses rapports. Bien sûr." Elle soupira. "On t'a déjà plaqué, Shinji?"

"Je n'ai jamais eu de petite amie."

Elle hocha la tête. "Et bien, une fois que j'aurais découvert qui t'envoie des lettres d'amours anonymes, tu en auras une."

"C'est peut-être quelqu'un qui me joue une mauvaise blague", répondit-il faiblement. "Ca m'est arrivé l'année dernière, avec une fausse carte, le jour de la Saint Valentin."

"C'est IGNOBLE! Si quelqu'un se moque de tes sentiments, je lui ferai... je le lui ferai regretter." Sa voix était très menaçante. "Jouer avec les sentiments des gens, c'est cruel. Si Kaji se moque de moi..." Elle serra les dents.

"Je suis sûr qu'il ne joue pas avec tes sentiments", dit Shinji pour essayer de la rassurer. "Tu veux faire un poker?"

Asuka sourit. "Tu es prêt à te faire plumer? Rei n'est pas là pour te sauver la mise, cette fois."

'Rei n'est pas là pour nous mettre tous les deux sur la paille', corrigea mentalement Shinji. "Je vais chercher les cartes."

_*_

A: AgentX42@Users.Mizunonet.Net
DE : Moldy567@Coldmail.com
SUJET : Coïncidence? Je ne pense pas.
Jette un coup d'œil aux deux fichiers attachés. Je pense que tu trouveras des similitudes intéressantes.
__________________________________________________
Vous voulez une adresse email gratuite au prix de votre vie privée, votre âme et votre premier né? Attendez, ce n'est pas vraiment gratuit... <http://coldmail.com>

Kensuke ouvrit le premier fichier en riant faiblement. C'était probablement un autre photomontage. Le dernier qu'on lui avait envoyé 'prouvait' que toutes les batailles des Evas étaient en réalité créées par des ordinateurs en utilisant des figurines Evas vendues par Bandai. Ca avait fait tellement rire Kensuke qu'il avait acheté une figurine 'Third Child : Shinji Ikari' pour l'offrir à Shinji comme un cadeau-gag pour son anniversaire ; même s'il ne savait pas exactement la date de l'anniversaire de son ami.

Les figurines n'étaient pas très réalistes, à moins que Shinji ne cache vingt-cinq kilos de muscles et n'ait récemment rapetissé de quarante centimètres. Le corps du jouet semblait provenir d'une autre série de figurines sur lequel on avait peint une plug-suit. La tête de Shinji était cependant reconnaissable, même si son sourire de plastique froid était un peu ridicule. Mais d'un autre côté, les figurines de Rei et d'Asuka avaient le corps de femmes pleinement épanouies et des mensurations plus qu'honorables. Et le reste du personnel avait apparemment été complètement inventé par Bandai, à moins que la vue de Kensuke est récemment baissé. Par exemple, le Commandant Ikari ne se déplaçait certainement pas dans un fauteuil volant jaune et il n'était pas chauve non plus. C'était peut-être pour cacher des informations classifiées. Tout le monde savait qui étaient les Pilotes, mais le reste du personnel de la NERV était invisible au yeux du public.

Le premier fichier attaché était un document texte. C'était en allemand et Kensuke pouvait le lire, mais très lentement. Il dût utiliser une page de traduction sur Internet pour remplir les passages qu'il ne savait pas transcrire mais le résultat fut loin d'être impressionnant :

**********

Je les regardais et deux douzaines d'hommes et de femmes se déshabillèrent complètement avant de se recouvrir de peinture. Et au même moment, les autres dressèrent neuf monolithes, un pour chacune des planètes, qui formèrent un grand V qui engloba le champ. Avec de l'ocre et de la pastelle, ils peignirent des runes sur chacune des pierres pour décrire les planètes qui gravitaient au dessus d'eux, ainsi que d'autres runes pour les étoiles où ils lançaient leur appel. Chacun pilier était un cylindre pentagonal sur lequel ils avaient gravé un pentacle qui contenait le Signe de leur Maître.

Puis leur chef, un grand prêtre qui ne portait qu'un capuchon noir et rien d'autre, leva haut le couteau sacré au dessus de l'autel qui représentait la Terre. Sur cet autel, il y avait un bol à moitié remplie d'eau et le prêtre se mit à chanter, l'appelant Hali, le grand lac où demeure Celui Que l'On Ne Doit Pas Nommer. Et tandis que ses fidèles se contorsionnaient, chantaient et s'accouplaient autour de lui, ses cinq élémentaires se mirent à siffler et les Anges descendirent du ciel, leurs ailes noires recouvertes du gel de l'éther. Ils étaient les Anges des Neuf Mondes et ils prirent chacun leur poste sur un des piliers consacrés.

Puis les élémentaires se penchèrent et dévorèrent le sacrifice, un homme qui hurla, se débattit et pleura pour qu'on l'achève. La scène me brisa le cœur et si je n'avais pas craint de châtiment, je l'aurais aidé. C'est étrange comment celui qui a renoncé aux faiblesses de la race humaine peut parfois être assailli par elles. J'avais vu des hommes être jetés dans des puits et leurs hurlements m'avaient faire rire. Et maintenant, je ressentais de la pitié pour cet homme.

Les Anges se joignirent à ses cris et levèrent leurs yeux au ciel pour regarder leur monde originel, Aldébaran, qui brillait juste au-dessus de l'horizon. C'est à ce moment que le prêtre trancha les poignets d'un des élus et laissa le sang s'écouler dans le lac d'Hali, pour que le Maître et Prisonnier de la Carcosa puisse boire la substance de vie et traverser le vide glacial qui nous protège de Sa présence.

Je ne peux pas parler de son arrivée, car les mots me manquent. Mais soyez en sûrs, Il Ne Peut Pas Etre Nommé mais Il PEUT ETRE VU si on prend la précaution de se préparer avec la technique souvent associée au grand érudit Ibn Ghazi...

-Extraits de la page 305 de Unaussprelichten Kulten, par Friedrich Wilhelm von Junzt, 1839 Quarto Édition

**********

Kensuke resta sans voix. Surprenant. 'Il a sûrement inventé tout ça et ajouté une image trafiquée d'un monolithe dans le fichier suivant pour me faire paniquer', se dit-il. Il ouvrit le second fichier attaché.

La vidéo était mal cadrée et semblait horriblement mal numérisée, mais Kensuke pouvait quand même voir ce qui s'y passait. Des hommes qui portaient des uniformes de la NERV abattaient frénétiquement un groupe des gens dévêtus et plutôt sales qui s'étaient peints des symboles sur leurs corps, à moins que ce ne soient des tatouages.

Deux choses attirèrent son attention. D'abord, une des victimes pointa un court bâton de basalte sur un des agents de la NERV qui se transforma en une flaque de chair en moins de cinq secondes. Puis, quand l'homme s'effondra, il aperçut un monolithe. C'était un cylindre à cinq faces, peint en orange, en brun et en bleu avec des runes étranges. La plupart d'entre-elles étaient inconnues à Kensuke, mais il reconnut le symbole astrologique de Jupiter qui était gravé sur chaque côté du monolithe, à son sommet. Le film s'arrêta quand la forme floue d'une série de griffes apparut en haut de l'écran et atterrit sur le pilier.

Kensuke fronça les sourcils. Keiichi ne pouvait pas avoir falsifié tout ça. Sauf s'il avait acheté son propre studio de cinéma récemment. Et les uniformes de la NERV semblaient authentiques. Tout comme les armes que portaient les soldats. Kensuke avait facilement reconnu leurs modèles malgré la piètre qualité de la vidéo.

'Il est peut-être temps pour moi de trouver le texte intégral de ces "Cultes Sans Noms"', se dit-il. 'Dommage que personne n'ait fait de traduction en japonais. Je suis sûr de quelqu'un a dû les mettre sur le Net, mais où... Si je peux prouver que ce passage est authentique...'

Il frissonna et se remit au travail.

_*_

Sae Tamagotchi secoua sa jolie petite tête recouverte de cheveux oranges. "Mais bien sûr, Namura-sensei! Je serais ravie d'aller vous chercher du café!" Elle sortit de la scène en courant comme si la préparation et le transport du café faisait d'elle la fille la plus heureuse de tout l'univers.

"Deux contre un qu'ils ont une liaison", murmura Touji à Kensuke et Shinji.

Shinji leva les yeux de sa copie du scénario, essayant toujours de comprendre pourquoi il avait accepté ce rôle. A vrai dire, il ne savait même pas POURQUOI il jouait dans cette pièce de théâtre. Il n'était pas bon comédien mais Namura-Sensei lui avait donné un rôle majeur. "Si c'est le cas, alors pourquoi elle n'a pas un rôle plus important? Elle joue seulement ma mère. Touji a plus de texte. J'ai plus de texte et je ne voulais même pas être dans cette pièce!"

"Tu joues le Roi Alar, bien sûr que tu as plus de texte", lui répondit Kensuke. "Au moins, toi, tu joues quelqu'un de sain d'esprit. Je dois jouer le psychopathe de l'histoire. Je voulais être Thale! Il a plein de scènes de duel."

Touji sembla soudainement très fier. "C'est pour ça qu'ils m'ont choisi. Tu n'es pas crédible en bretteur émérite, Kensuke."

"Et pourquoi penses-tu qu'ils ont une liaison?" demanda Kensuke.

"Ce sale pervers faisait des clins d'œil à ma sœur avant son accident. Et..." Il se tut soudainement.

"Et elle lui en faisait en retour?" demanda Kensuke en plaisantant.

"NON! Ma sœur ne ferait jamais ça..." s'emporta Touji.

Sae réapparut avec une tasse de café dans les mains et s'assit à côté de Namura-sensei, au premier rang de l'auditorium principal du lycée de Tokyo-3. Namura but une longue gorgée de café et prit ensuite la parole. "Très bien, tout le monde, on y va. Tous ceux qui apparaissent dans l'acte Un vont dans les coulisses. Hikari, tu te places au milieu de la scène, juste derrière le point où les rideaux s'ouvrent."

Shinji et ses amis se dirigèrent vers les coulisses, bientôt rejoints par une douzaine d'autres élèves qui avaient été volontaires pour jouer dans la pièce ou y avaient été forcés par Namura-sensei. Asuka fit une révérence à Shinji avant de tirer la langue à Touji, qui se mit à marmonner. Cela fit bien rire Kensuke. "Elle est parfaitement dans son personnage. Uoht et Thale se détestent et si je me souviens bien, Uoht tire la langue à Thale à un moment. Pendant le duel du banquet, je crois." Il commença à parcourir son livre pour trouver le passage.

"Le nom de son rôle est encore plus stupide que le sien. Uuuuaaaught", fit Touji.

Rei sortit de l'ombre des coulisses et s'approcha de Shinji. Le garçon la contempla. Elle avait porté son uniforme scolaire durant les deux dernières répétitions, contrairement aux autres élèves qui avaient quitté leurs tenus d'école pour des vêtements plus classiques. Mais aujourd'hui, Rei avait revêtu une chemise vert pâle et une longue jupe plissée vert foncé. Seules ses chaussures étaient encore celles de la veille.

"Waaoo!" fit Kensuke.

Touji cligna des yeux.

"Ca te va très bien, Rei", dit Shinji.

"Et que nous vaut une si belle tenue?" demanda Kensuke.

"La répétition", répondit-elle.

Pendant que les trois garçons restèrent troublés par cette réponse, Hikari commença à déclamer le monologue, debout au milieu de la scène. "Yhtill est tombé. Moi seule ai survécu pour pouvoir vous raconter l'horrible histoire de la cité d'Yhtill près du Lac d'Hali, le Royaume de Joie, qui a été conduit à la ruine par un étranger portant un Masque Pâle. Mon nom est Yhbb, écuyère de Dame Uoht, qui était la championne du Roi Alar d'Yhtill. Je suis devant vous maintenant pour vous avertir, vous les gens de Céléano, afin que votre destin ne soit pas semblable au nôtre. Ecoutez mon avertissement et vous vivrez. Ignorez-moi et vous partagerez peut-être notre destin."

Namura-sensei l'interrompit. "Très bien, maintenant Hikari, va sur le coté droit de la scène." Elle suivit ses ordres. "Maintenant, le rideau s'ouvre sur le premier Acte. Le roi Genji vient de mourir et la plupart des personnages principaux participent à ses obsèques. Tenko, apporte le 'cercueil'."

Tenko, un brun plutôt petit, apporta sur scène un très gros carton qui avait dû emballer un réfrigérateur. "Où je le mets?"

"Au milieu, juste derrière le rideau. Il faut qu'il soit face aux spectateurs. Shinji, Sae, placez-vous juste derrière la boîte. Rei, mets-toi à gauche du cercueil, à côté de Sae. Asuka, place-toi du côté droit, à côté de Shinji. Hikari, quand tu auras fini de lire l'introduction de la scène, tu passes derrière le rideau et tu te places à droite d'Asuka. Touji, tu te places à côté d'Hikari. Kozue, tu te positionnes à gauche de Rei et Souichi, tu restes debout à coté de Kozue. Maintenant, vous vous déplacez tous pour former un V. Je sais que ça n'a pas l'air très naturel comme disposition, mais l'auditoire doit pouvoir voir le visage de tout le monde."

Chacun prit position. Shinji se rendit brusquement compte que Rei, Kozue et Souichi portaient tous du vert. Cela provoquait un effet visuel intéressant. Et tout ceux qui étaient du côté d'Asuka portaient du rouge. 'Je me demande si je n'ai pas raté une note qui me disait quelle couleur mettre pour les répétitions', se dit-il. Il jeta un coup d'œil à Sae, qui portait une blouse rouge et une jupe verte et il en conclut qu'il devait avoir raison.

Ils restèrent dans cette position pendant que Namura indiquait aux autres comédiens leur place sur le plateau, même si la plupart d'entre eux n'avaient pas de réplique dans cette scène. Puis ils se mirent tous à feuilleter leurs scripts en essayant de se rappeler leur texte.

"Tout a commencé durant l'année de la Neige, la quatre-vingtième année du quatre-vingtième cycle depuis le début de notre histoire. Pendant les Saturnales, le Roi Genji d'Yhtill mourut en assouvissant sa soif de luxure auprès d'une de ses nombreuses concubines et on chuchota partout que plusieurs d'entre elles avaient été forcées de porter un masque représentant la première femme du Roi. Cette rumeur fut démentie avec acharnement par son fils, Alar et par la nouvelle femme de Genji, Naotalba, une prêtresse d'Yhoundeh, la déesse Elan, qui était une princesse venue de la lointaine Boréa. Mais quelles que furent ces rumeurs, le Roi était bien mort et il devait être enterré. Et c'est ici, aux obsèques royales, que mon histoire commence."

Hikari courut se mettre en position et percuta le 'cercueil' en passant à coté. Souichi remit la boite en place d'un rapide coup de pied pendant que Sae commençait à réciter son texte. La répétition continua comme si de rien n'était.

_*_

Asuka était complètement désorientée. Elle ne parvenait pas à se souvenir comment elle s'était retrouvée dans son Eva mais elle y était, c'était indéniable. A moins que quelqu'un ait inondé sa chambre avec du LCL et ait fixé des écrans sur le plafond, le sol et les murs. Et ce qu'elle voyait grâce à ces écrans, c'était des vignes pourpres et des buissons recouverts d'épines. Une rivière de boue rosâtre traversait ce paysage étrange. En aval de ce courant de boue, Asuka pouvait apercevoir une ville construite avec du verre orange foncé et du basalte dans un style architectural dont elle n'avait jamais entendu parler auparavant. Le ciel était sombre et rempli de constellations qu'elle ne connaissait pas. Mais plus étranges encore étaient les trois lunes qui illuminaient le firmament.

'Je dois rêver', pensa-t-elle. Elle baissa les yeux pour regarder le corps de son Eva et elle ne vit qu'un amalgame difforme de vrilles, de pieds, de bras, de crocs, d'yeux, de nez, d'oreilles et des organes internes variés. Tous ces appendices s'agitaient d'une façon frénétique, se cognaient et s'emmêlaient entre eux. La peau qui les recouvrait semblait purulente et maladive. Asuka fit un effort surhumain pour ne pas vomir car elle s'avait que sa propre vomissure flotterait dans le LCL et qu'elle finirait par en respirer.

'Qu'est-ce qui est arrivé à mon Eva? Où suis-je?' Un nom se forma dans son esprit. Xoth.

Une peur subite de regarder son propre corps l'envahit mais elle se força à baisser les yeux. Des formes étranges et anormales apparaissaient sous la surface de sa plug-suit, suggérant de profonds changements dans le corps que la tenue contenait. C'était comme si la plug-suit était la seule chose qui maintenait encore le corps d'Asuka dans une forme plus ou moins humaine. La jeune fille ne pouvait pas voir son visage. Elle ne voulait PAS voir son visage. Elle saisit une mèche de ses cheveux. Ils étaient roux, normaux. C'est alors qu'ils se tissèrent tous ensemble comme une corde et se transformèrent en un tentacule avec une espèce de bourgeon à son extrémité. Le bourgeon s'ouvrit et un œil apparut.

Asuka vit alors son visage et se mit à hurler. Et elle cria de plus en plus fort jusqu'à ce que le rêve disparaisse.

Elle sentit quelque chose contre son visage quand elle se réveilla en poussant toujours des cris perçants. C'était quelque chose de poilu, de lourd et d'un peu chaud. Elle le lança au loin avant de se rendre compte que c'était un de ses animaux en peluche. Shinji ouvrit la porte de la chambre juste à temps pour prendre la peluche tanuki en pleine tête.

"Asuka, qu'est-ce qui... Oooof!" Il tomba à la renverse, complètement surpris de se faire attaquer de plein fouet par un jouet en peluche.

"Tu devrais faire plus attention!"

"La plupart des gens ne crient pas en plein milieu de la nuit pour jeter des animaux en peluche sur le premier venu!" répondit Shinji. "Tu as fait un cauchemar?"

Elle secoua sa tête en essayant d'oublier son rêve. "Je ne fais JAMAIS de cauchemars."

"Mais bien sûr. J'étais sur le point d'atteindre le sommet de la montagne quand tu m'as réveillé. Tu comptes faire ça tous les soirs?" Il sourit légèrement et elle lui tira la langue. Ils se mirent tous les deux à rire.

Misato passa la tête par l'ouverture de la porte. "Vous avez un rapport sexuel ou quelque chose de ce genre?"

Ils devinrent tous les deux écarlates. "Non!"

"Dommage. C'est juste un mauvais rêve?"

"Non- Enfin si", répondit Asuka avant de soupirer. "J'ai rêvé que mon Eva et moi nous nous étions transformés en monstres."

"Et bien, une fois, j'ai fait un cauchemar où je me transformais en ma grand-mère, alors c'est pas la peine de t'inquiéter pour ça," dit Misato en s'asseyant sur le lit d'Asuka.

Asuka essaya de trouver la moindre logique dans la phrase de la jeune femme mais échoua. "Ta grand-mère n'était pas un monstre."

"Tu n'as jamais rencontré ma grand-mère", répondit Misato d'un air catégorique "Si c'était elle le prochaine Ange, ça ne me surprendrait pas du tout."

Cela fit rire Shinji. "Et elle serait accompagnée d'un des professeurs de mon ancienne école, je suppose."

"Et d'Oscar", ajouta Asuka. "Avec son chat."

Misato sembla soudain pensive. "Vous êtes tous les deux dans la pièce de théâtre de l'école, c'est bien ça?"

"Oui-oui", confirma Asuka.

"Bien, alors vous pouvez m'avoir une place gratuite." Elle se leva et bâilla. "Je vais me coucher. A demain matin." Puis elle sortit de la chambre.

Asuka la regarda s'en aller. Shinji se leva pour la suivre, mais Asuka lui attrapa la main. "Je... Tu veux répéter certaines de nos scènes? Namura-Sensei disait que nous étions trop tendus la dernière fois."

'C'est sûrement parce que nous n'avons pas encore appris nos lignes', pensa-t-il. Il est vraiment difficile de jouer correctement un rôle quand on a le nez dans le script. "Nous ne devrions pas plutôt dormir?"

"Je ne suis pas fatiguée", lui dit-elle en bâillant.

Il fit semblant de la croire. "Laisse-moi aller chercher ma copie du scénario."

"Il va falloir que tu apprennes ton texte, tu sais!"

"Nous allons encore utiliser le script sur scène pendant un bon moment", répondit-il. "Et je ne suis pas doué pour mémoriser mes lignes. Je reviens tout de suite."

Elle prit sa copie de la pièce et essaya d'y trouver une bonne scène avec seulement leurs deux personnages. 'Ahh... Celui où Uoht essaye de suivre le Roi en Jaune, mais tombe sur le Roi Alar! Parfait!' pensa-t-elle.

Shinji revint. "Euh... Et pour les autres personnages?"

"Faisons la scène du jardin."

"Quelle scène du jardin?"

Elle cligna des yeux. "Ah ouais, ton personnage croise quasiment tout le monde dans le jardin à un moment où à un autre. Je parle de la scène avec Uoht."

"D'accord." Il se releva un peu maladroitement et fit semblant de regarder un buisson. "Hmm. Les roses se fanent."

Asuka se leva le livre à la main, se plaça près de la porte et fit comme si elle se cachait.

"Maintenant, je vais l'attraper... Votre Majesté?!"

Shinji se redressa. "Uoht? Que faites-vous dans ce lieu à une heure si tardive?"

"Euh... Rien", répondit-elle, en essayant de paraître timide. "Vous...Vous ne l'avez pas vu, n'est-ce pas?"

Shinji jeta un coup d'œil sur le texte. "Je n'ai pas vu le seigneur Thale depuis hier."

"Non, pas lui..." Asuka vérifia elle aussi le script. "L'étranger. Je pense qu'il complote."

"Vous pensiez que l'ambassadeur de Céléano complotait lui aussi, mais il avait juste une liaison avec une servante", récita Shinji en faisant de son mieux pour sembler pensif.

Asuka s'approcha de lui. "Vous n'avez pas confiance en moi... mon Roi?" Elle tendit une main vers lui mais la rabaissa aussitôt.

"Je vous fais confiance car vous êtes une vaillante combattante. Doublée d'une bonne amie. Mais c'est Cassilda, et non vous, qui est exercée à percer les secrets et les complots. Elle ne m'a pas encore dit de me méfier de cet homme et vous savez parfaitement qu'elle ne fait confiance qu'à peu de personnes."

Asuka fronça les sourcils. "Donc, vous avez plus confiance en ses paroles qu'en les miennes?"

"Euh... Heu..." Shinji était troublé et ce n'était pas de la comédie. Asuka était effrayante quand elle jouait la colère. "Si c'était une question de guerre et de bataille, vos paroles surpasseraient de loin les siennes. Vous avez chacune... des forces différentes."

"Peut-être est-elle alliée avec lui", murmura Asuka, détournant le regard pour fixer un coin de la pièce. Sur scène, elle était sensée regarder fixement une statue du vieux Roi. Enfin, une fois qu'elle aurait été sculptée et mise dans le décor. Mais dans sa chambre, elle regardait un poster d'un groupe allemand, Drei Mädchen.

Shinji fit de son mieux pour paraître en colère, mais il n'était pas très impressionnant. "Uoht! Vous savez parfaitement que Cassilda ne trahirait jamais notre nation! Je sais que vous ne vous entendez pas, mais je ne peux me permettre de voir les deux femmes qui régissent mon trône se disputer entre elles!"

Asuka essaya de paraître flattée, un peu fière de se rappeler de ce trait de caractère de son personnage. "Vous pensez... vraiment à moi ainsi?" Elle essaya de donner le rythme approprié à la phrase.

Il s'avança près d'elle. "J'ai besoin de vous deux... Je ne me suis jamais imaginé devenir Roi si tôt, et vous avez toutes les deux toujours été d'une grande aide pour moi. Et cela, depuis notre plus tendre enfance. Je n'ai juste... jamais compris l'origine de votre hostilité envers Cassilda."

Asuka soupira. "J'essaye, mais... Vous êtes le seul à qui elle se confie. Elle ferme son cœur à tout autre, mis à part la vieille Haute Prêtresse, mais elle est morte maintenant. Et la façon dont elle me regarde... C'est comme si elle voulait transpercer mon âme avec son regard." La jeune fille se retourna, regardant Shinji et le 'ciel'. "Les rares fois où elle me parle, c'est pour m'annoncer que j'ai commis une quelconque faute. J'ai juste..." Elle vérifia de nouveau son texte. "Demandez-lui juste ce qu'elle pense de l'étranger au masque pâle. S'il vous plaît?"

Il s'approcha nerveusement d'elle et lui prit la main, tout en se demandant pourquoi il était si effrayé de le faire. Ils ne faisaient que jouer leurs rôles et c'était juste une main, pas un serpent venimeux. Pendant un instant, un souvenir fugace du rêve où il avait marché main dans la main avec Rei lui traversa l'esprit, l'incommodant encore plus. Il s'imagina faire la même chose avec Asuka pendant quelques secondes puis tenta maladroitement de se rappeler son texte, ou plutôt de se rappeler où il avait mis le script. Il fut encore plus embarrassé quand il se souvint qu'il l'avait en main..

Finalement, il parvint à lire sa réplique. "Comme vous le souhaitez, Dame Uoht. Je lui demanderai demain matin." Il regarda le plafond. "Les étoiles ne sont-elles pas magnifiques?"

Asuka regarda son texte, jeta un coup d'œil à Shinji puis s'avança ensuite à côté de lui pour passer un bras autour de sa taille. Il sursauta légèrement comme il le faisait toujours durant les répétitions et elle sourit faiblement. "Les étoiles sont magnifiques", répondit-elle. "Nous pouvons voir les Muses, ce soir", dit-elle alors en indiquant un point qui serait dans la salle. "C'est un bon présage." Elle se colla contre lui en espérant qu'il ne s'effondrerait pas comme il l'avait fait la dernière fois. Et à la grande surprise de la jeune fille, il resta contre elle.

Ils restèrent ainsi pendant un bon moment, l'un contre l'autre, à regarder fixement le plafond, à sentir la chaleur de leurs corps et à écouter leurs respirations tandis qu'Asuka continuait à indiquer un point imaginaire. Le silence grandit et Asuka se demanda si Shinji avait encore oublié son texte.

Shinji attendait lui qu'Asuka continue son texte. Il était moins nerveux qu'il ne s'y attendait car cette scène le mettait mal à l'aise d'habitude. Mais cette fois, c'était presque agréable. D'autant plus qu'il faisait un peu froid et que le corps d'Asuka collé contre le sien le réchauffait d'une façon très plaisante. Après un long moment de silence, il commença à penser qu'Asuka avait dû oublier son texte. Il jeta un coup d'œil au scénario et soupira. "C'est à ce moment que Cassilda entre."

Asuka se donna une tape sur le front. "Merde! J'avais oublié... Umm..."

"Nous pourrions demander à Misato de lire son texte", suggéra Shinji.

"Tu penses vraiment que c'est une bonne idée?"

"Non."

"Alors je vais le faire", répondit Asuka. Elle récita le texte de la façon la plus sérieuse et inexpressive possible. "Mon Seigneur, regardez." Elle tendit le doigt dans une autre direction.

Shinji regarda. "Qu'est-ce donc?"

"Le plafond", répondit platement Asuka avant de se mettre à rire.

Shinji fut surpris puis se mit à rire lui aussi de bon cœur. "Rei ferait vraiment ça."

"Et elle ne saurait pas non plus pourquoi nous rions", ajouta Asuka, hilare.

Misato passa la tête par l'ouverture de la porte. " Vous avez une relation sexuelle, cette fois?"

Shinji se rendit soudainement qu'il était collé contre Asuka. Il fit un bon en arrière. "Non!"

"Encore dommage. Je vais devoir apprendre à être plus discrète, alors. Faites l'amour ou allez vous coucher. C'est un ordre."

_*_

"Uoht! Vile canaille!" gronda Touji en tenant un balai devant lui comme si c'était une épée. Sa posture était juste, distinguée et majestueuse sur scène et sa voix résonnait dans la salle. "Le ..."

Shinji cligna des yeux.

"Le ..."

Hikari fronça les sourcils et regarda le garçon avec un regard clairement inquiet.

"Le ... Et merde... Le ..."

Asuka leva elle aussi sa fausse épée dans une posture menaçante.

"Le ... Bon d'accord, j'ai un trou."

*STACK* "Dummkopf!" hurla Asuka.

"Hé! Ferme-la, espèce de chienne buveuse de bière!" Touji leva son 'épée' pour la défier.

"Asuka! Touji! Arrêtez!" cria Hikari.

"Ils sont nés pour se détester, je vous le dis", plaisanta Kensuke. "Dans une vie passée, ils étaient soit ennemis mortels soit mariés."

Rei observait la dispute sans rien dire, comme si elle gravait la scène dans sa mémoire.

"On- On joue la scène suivante?" suggéra Shinji. Ce n'était pas une répétition formelle, alors ils pouvaient sauter autant de scènes qu'ils le voulaient. Mais cela voulait aussi dire qu'il leur manquait la moitié des acteurs et qu'ils étaient obligés de sauter plusieurs scènes. Asuka avait voulu travailler sur une scène avec Rei et lui, les autres avaient voulu participer et il y avait eu un effet boule de neige. Mais maintenant, Shinji commençait à craindre que la boule de neige ne se transforme en avalanche.

Asuka et Touji se dévisagèrent durant un long moment, leurs armes prêtes à frapper. Un instant plus tard, ils se retournaient lentement en bougonnant avec des regards furieux.

"La scène suivante?" fit Kensuke en feuilletant sa copie de la pièce. "Voyons... Où en étions-nous? Acte 3 Scène 4?"

"Ja, l'acte 3", répondit Asuka. "Le grand final."

Kensuke fronça les sourcils. "Mince. J'ai plein de texte dans celui-là."

"C'est surprenant, ça", ironisa Asuka. "Tu joues le personnage éponyme, tu sais! Allez, schnell, allons-y." Elle se coucha sur le sol en se saisissant le bras comme si elle avait une blessure imaginaire. Rei se mit à genoux à côté d'elle, les mains sur le visage, essayant d'imiter des pleurs. Mais c'était loin d'être une réussite.

"D'accord, d'accord, je me lance!" Kensuke remit ses lunettes en place, posa son livre, respira à fond et récita son texte.

"Et maintenant, bon roi", déclama Kensuke d'une voix plus grave qui avait l'air menaçante. "Votre dame Uoht a été brisée par mon épée et votre dame Cassilda a été rendue folle par mes mots. Quel bon conseil ne vous ai-je pas donné, mon Seigneur. Mes mots ont-ils été inutiles à votre oreille, roi des imbéciles?"

À ce moment, Shinji était supposé s'approcher de Kensuke et dire son texte, mais le pilote se rendit compte qu'il avait du mal à bouger; Kensuke n'avait jamais réussi à avoir le bon ton auparavant. Ca n'aurait pas dû le gêner autant, mais pendant un moment, il eut l'impression que Kensuke avait disparu et que l'Étranger au Masque Pâle se tenait vraiment debout devant lui.

En jetant un coup d'œil aux autres, il se rendit compte qu'ils étaient étonnés eux aussi. Il se reprit; c'était juste une pièce et Kensuke jouait un rôle. Asuka ne mourait pas vraiment, et Cassilda n'était pas au... Rei n'était pas au bord de la folie.

Shinji devait maintenant simuler la colère et c'était loin d'être sa spécialité. Il se remémora toutes les fois où des gens lui avaient hurlé dessus et essaya de les imiter. "Vous êtes entrés dans mon royaume!" Il parlait fort et pointait un doigt sur Kensuke. Il fit un pas en avant en se rappelant la fois où un de ses parents adoptifs était devenu furieux à cause d'un vol supposé de vélo, alors qu'il venait juste de le trouver abandonné. Il ressentait toujours de la rancœur pour cette histoire et maintenant il l'exprimait. "Vous avez tourné mes sujet les uns contre les autres!"

"Ils se haïssaient déjà", répondit Kensuke d'un air moqueur. "Je les ai simplement aidés à faire ce qu'ils voulaient le plus au monde. L'humanité est en guerre perpétuelle contre elle-même et c'est pourquoi elle échouera toujours. La civilisation n'est qu'une maigre couche de boue qui recouvre les pulsions animales à l'intérieur de chaque être humain. Et c'est dans la nature des bêtes de s'attaquer, de se battre et se blesser les unes les autres."

Shinji fit un autre pas en avant et cria aussi fort qu'il le put. Il trouva la force nécessaire en se souvenant de la bande qui l'avait battu et lui avait volé son argent pour le déjeuner pendant un mois quand il avait douze ans. Et il se souvenait aussi que l'école n'avait rien fait à ce sujet parce que ça se passait en dehors de leurs bâtiments. "JE NE SUIS PAS UNE BÊTE! Je suis le roi et je prends soin de mes sujets!"

"En vous cachant derrière deux femmes et en les envoyant combattre à votre place. Maintenant elles sont vaincues et vous ne faites rien, car vous me craignez." se gaussa Kensuke. "Mais ce n'est pas important. Les armées ont commencé leur marche et Yhtill sera détruite. Thale est mort et ses disciples préparent une révolte au moment même où nous parlons." Il désigna la salle. "Et la tempête qui vient sera le fléau dévastateur de ce royaume. Mon travail est fait."

Les lumières qui éclairaient la salle vacillèrent légèrement et Hikari sursauta. Touji murmura: "Cette folle d'Uoht ne m'aurait jamais eu si ça n'était pas écrit dans le scénario."

Il y eut de l'électricité dans l'air quand Kensuke sourit d'un air satisfait et que Shinji lui lança un regard noir. Le pilote fit un autre pas en avant, le visage écarlate et les yeux sombres. "Vous ne vous en tirerez pas ainsi!" Il pouvait voir la lumière se refléter sur les lunettes de Kensuke. Ce reflet lui rappela aussitôt celui sur les lunettes de son père quand celui-ci l'avait fait partir, il y a si longtemps. 'Maudit sois-tu, père', pensa-t-il et sa colère devint encore plus forte. "Vous êtes un lâche qui se cache derrière un masque! Montrez-moi votre vrai visage!"

Sa main partit ; c'était censé être une fausse claque qui ferait tomber le masque que Kensuke porterait dès qu'ils auraient commencé les répétitions générales. Il s'était entraîné une bonne douzaine de fois et Namura-Sensei lui avait montré comment s'y prendre pour que ça ait l'air réel ET ne fasse pas mal à Kensuke. Malheureusement, Shinji ne pensait plus en ces termes désormais. La gifle frappa violemment Kensuke sur la joue et l'envoya au sol. "Sois maudit!"

"Ce n'est pas dans le scénario", protesta Hikari.

Touji et Asuka le regardèrent, choqués. Même Rei sembla surprise. Shinji regarda fixement sa main et essaya de s'excuser. "Oh, je suis désolé! Je ne voulais pas te frapper comme ça! Je... J'ai juste... été pris dans la scène."

Kensuke se frottait la joue. "Ca aurait probablement mieux marché si j'avais vraiment porté le masque."

"Shinji, espèce d'idiot! Tu aurais pu le blesser!" cria Asuka. "Si ça avait été Touji, ça aurait été autre chose, mais..."

"HE!" protestèrent en chœur Touji et Hikari.

"Je pense qu'elle veut dire que Touji aurait mieux encaissé le coup que moi", mentit Kensuke en essayant de ne pas se mettre à pleurer. Il se sentait mal à l'aise. 'Maintenant, je sais ce que c'est que de jouer un rôle à fond', pensa-t-il. Durant la scène, Kensuke avait soudainement trouvé facile d'être son personnage; et c'était probablement le même phénomène qui s'était produit avec Shinji. "On peut passer directement à la scène juste après le banquet? Je ne suis pas tout à fait d'humeur pour continuer celle-là."

Les autres ne l'étaient pas non plus, alors ils commencèrent une autre scène et la répétition continua.

_*_

Le navire traversait les eaux antarctiques, particulièrement chaudes pour une région australe depuis le Deuxième Impact. Fuyutsuki observait le paysage. "Je n'aurais jamais imaginé que je pourrais un jour utiliser un cuirassé comme taxi."

"Moi, si", répondit Gendo.

"Menteur."

Un sourire minuscule se forma sur le visage de Gendo. Il avait le sens de l'humour, même s'il le montrait rarement. "Depuis notre découverte miraculeuse, j'ai du mal à croire en notre chance", dit-il. "Le fond de cet océan est si grand, nous aurions pu chercher pendant des années sans rien trouver."

"Cela doit être le destin", répondit Fuyutsuki. "Ou un piège. Peut-être somme-nous tombés sur un appât."

"Nos ennemis n'ont pas suffisamment de ressources pour élaborer un piège de ce type en si peu de temps."

"Vraiment?" demanda Fuyutsuki.

Ils se dévisagèrent un long moment, puis se retournèrent. Ils regardèrent l'océan et le clapotis des vagues qui se formaient à la surface de ces eaux depuis des millions d'années.

_*_

"Hé, tu viens à la salle d'arcade avec Shinji et moi?" demanda Touji à Kensuke par téléphone. Kensuke était assis à son bureau, entouré par des livres et des papiers. Son ordinateur faisait une recherche sur le web.

"Je dois travailler sur mon devoir de documentation", répondit Kensuke. "Peut-être demain."

"On a une répétition générale demain. Pourquoi perdre cette nuit à travailler?" demanda Touji, convaincu de pouvoir faire changer d'avis son ami.

Kensuke relut le passage qu'il avait imprimé quelques minutes plus tôt.

Dans les derniers jours, l'Homme possédera le pouvoir des dieux, mais n'aura pas leur sagesse. Il explorera les sentiers de la mort, où le Grand Chaudron de Vie attend la venue de celui qui saura le maîtriser. Mais là encore, il lui manquera la connaissance des anciens et il ne trouvera que la destruction au lieu de la vie, créant un grand bûcher funéraire. Son feu rappellera Celui Qui Chante Aux Etoiles Leur Place Dans Le Ciel pour qu'il commence son travail.

Et le jour viendra où l'Eternel Tisseur finira sa création et traversera la barrière qui protège le monde, pour une fois de plus contempler le soleil. Et Il fera résonner l'Appel, réveillant ses anciens frères ennemis pour qu'ils viennent ici bas. Les hauteurs seront submergées et les profondeurs s'élèveront ; les secrets seront révélés et ce qui est connu sera occulté ; le mort marchera de nouveau et le vivant mourra.

Le sang appelle le sang. La puissance appelle la puissance. Cinq jailliront du grand abîme, cinq marchant sur terre avec le visage des hommes. Des Rêves faits chair ou la chair faite Rêve, ils sont. Venus pour régénérer le cycle ancestral comme de par le passé. Car c'est notre présent. Mais à la fin, ils céderont face au désespoir, tout comme ceux qui sont venus auparavant. A la fin, ils deviendront ceux contre qui ils se battent. Et la Voix du Chaos Infini rira avec eux au milieu des cendres de leurs rêves brisés.

Kensuke frissonna; il ne pouvait pas faire sortir ces mots de son esprit. Plus il lisait ces livres, plus il voulait savoir ce qu'ils voulaient dire et il ne pouvait plus s'arrêter. Il devait trouver la vérité. Et il n'avait plus le temps de jouer. "Je suis désolé, mais je dois VRAIMENT travailler dessus. Va t'amuser avec Shinji tant que vous le pouvez." Il raccrocha et se retourna vers son ordinateur, parcourant des liasses de textes imprimés et prenant le plus de notes possible en les lisant.

_*_

Namura-Sensei étudia la lame. Elle était plutôt grossière, mais elle devait uniquement ressembler à une épée pour le public, pas les pour les acteurs. "J'ai du mal à croire que les ateliers de travaux pratiques de l'école soient si doués", dit-il à Sae qui l'aidait. La jeune fille était en train de fabriquer la garde de l'épée sur une autre machine. "On pourrait presque croire qu'ils projetaient de transformer cette école en fabrique d'armes. Ou en usine de voitures."

Sae se mit à rire et remit ses cheveux en place. Normalement, ses cheveux ne lui posaient pas autant de problème, mais après plusieurs heures à travailler sur le métal, ils partaient dans tout les sens à cause de l'électricité statique. "C'est très drôle!"

"C'est dommage que nous n'ayons pas le temps de finir les armures pour la répétition en costume", dit Namura. "Tes amis et toi avez fini les affiches?"

Sae hocha la tête. "Oui! Ils doivent être en train de les placer dans toute la ville en ce moment même."

"Et à quelle heure tes parents s'attendent-ils à te voir rentrer à la maison?"

Il y eut une pause puis Sae répondit. "Ils sont absents toute la semaine."

Namura posa la lame de l'épée et sourit. "Parfait".

_*_

Megumi Kunzama flânait dans les rues de Tokyo-3 en espérant trouver l'inspiration.

Après des débuts prometteurs à Tokyo-3, les choses commençaient à devenir beaucoup moins intéressantes pour l'ambitieuse journaliste.

Les dernières attaques d'Anges avaient eu lieu à l'étranger et les conférences de presse qui avaient suivi depuis avaient été typiques de la NERV: parfaitement contrôlées.

Et il n'y avait pas eu de phénomènes bizarres à Tokyo-3 depuis l'attaque des Chérubins. Cette histoire-là lui avait permis d'écrire un très bon papier qui avait fait du bruit et elle avait été citée dans plusieurs grands journaux.

Mais depuis, elle en était réduite à espionner de temps en temps les pilotes, ce qui l'avait toujours rendue un peu coupable.

Après tout, ce n'étaient que des enfants..

Mais d'un autre côté, ils étaient la dernière barrière de l'humanité face à l'extinction. Cela faisait d'eux des personnages importants et donc des cibles de choix pour les journalistes.

Cependant, même la vie privée des pilotes devenait de moins en moins intéressante. Elle n'avait pas vu de changement notable dans leur comportement et même l'arrivée de Langley dans l'équipe n'avait pas modifié beaucoup les choses. Un triangle amoureux aurait sans doute été vendeur, mais d'après toutes les interviews qu'elle avait réussi à faire avec d'autres étudiants de leur école, Asuka ne semblait pas intéressée par les garçons de son âge.

Et elle avait besoin d'une histoire.

Quelque chose.

Et vite.

Alors qu'elle passait près du lycée, elle aperçut un groupe d'étudiants qui accrochaient une grande affiche.

Le collège de Tokyo-3 présente:
LE ROI EN JAUNE
Une tragédie en trois actes

On pouvait voir dans l'arrière-plan de l'affiche une forme complexe circulaire, une espèce d'emblème. Et le simple fait de regarder ce symbole mettait Megumi mal à l'aise d'une façon qu'elle n'arrivait pas à décrire. L'emblème semblait anormal, mais la journaliste ne parvenait pas à la quitter du regard.

Elle s'approcha des étudiants et leur demanda, "Excusez-moi, mais qu'est-ce que c'est?"

"Oh, c'est la pièce de théâtre de l'école", répondit un des garçons.

"Ca va être intéressant", ajouta un autre. "Les pilotes sont les stars du spectacle."

Megumi leva un sourcil. "Ah bon?"

"Ouais. Quelle canon cette Asuka!"

"C'est ouvert au public?" demanda-t-elle.

Un des garçons haussa les épaules. "Normalement, oui."

"Oh, bien. Très bien."

Ce n'était pas un scoop sensationnel mais elle aurait de quoi écrire une jolie petite histoire.

Tout en s'éloignant, Megumi jeta un dernier coup d'œil à l'affiche et son symbole sinistre.

Oui, quelque chose dans cet emblème n'allait pas.

_*_

Deux lunes illuminaient le ciel et toutes les constellations qu'apercevait Kensuke en étudiant la voûte céleste lui semblaient parfaitement inconnues. Il était au milieu d'une ville construite en pierre noire et les bâtiments penchaient tellement qu'ils auraient dû s'écrouler sous leur propre poids depuis longtemps. La lumière des étoiles et des lunes se reflétait étrangement sur les fenêtres et une couche de gel semblait tout recouvrir. Le froid des vents incessants traversait son pyjama, et le sol des rues, pavées dans de la pierre noire poreuse semblable à celle des murs, se lézardait partout où il posait le pied.

De temps en temps, un cri lointain ou de faibles battements d'ailes brisaient le silence. Au loin sur sa droite, Kensuke pouvait voir une grande étendue d'eau sombre dont la surface semblait recouverte d'ondulations causées par le vent. Et seule la plus brillante des deux lunes se reflétait dans l'eau de ce lac, même si son reflet paraissait bien pâle.

Kensuke, suivant plus son instinct qu'autre chose, traversa difficilement les ruines pour s'approcher de la vaste étendue d'eau et essayer de comprendre ce qui se passait. Quand il put enfin observer son reflet à la surface de l'eau, il ne vit qu'un homme revêtu d'une robe pâle dont le visage était caché par un masque de tragédie grecque tout aussi blafard.

Les eaux s'agitèrent et cinq têtes qui semblaient humaines, quoi qu'horriblement déformées, en jaillirent. Quand les épaules des créatures qui possédaient ces têtes furent à leur tour hors de l'eau, de grandes ailes noires se déployèrent et commencèrent à battre l'air, provoquant de nouveaux remous dans les eaux du lac. Kensuke, paralysé, regarda les cinq formes s'élever dans les airs. Elles l'encerclèrent et joignirent leurs bras pour former une ronde de chair difforme. Elles se mirent ensuite à tourner autour de lui, poussant des gémissements dans une langue surnaturelle, un flot de syllabes sans voyelles sous lesquelles Kensuke fut rapidement noyé.

La terre se déroba sous ses pieds et Kensuke s'éleva dans le ciel pour les rejoindre, comme suspendu par des fils invisibles. Il commença à danser tandis qu'ils lui chantonnaient des mots inconnus. La joie et la terreur l'envahirent, rapidement remplacés par le désir soudain de les rejoindre pour devenir à son tour un guerrier géant semblable à ceux qui l'encerclaient. Ils marcheraient sur Terre couverts de gloire, combattant en son nom car il serait leur leader. Et après la Terre, il y avait les étoiles: un million de monde à conquérir.

Puis il vit tous ces mondes qui seraient les siens pour qu'il s'y batte, les pille, les brûle, les gouverne ou les détruise selon son bon plaisir. Il aperçut Cykranosh où demeuraient les Bhlemphroims sans tête dont les hommes avaient rêvé quand ils avaient envahi leur soi-disant 'Nouveau Monde'. Il observa les trois lunes de Boréa, où les prêtres des Enfants du Vent s'étaient mis à implorer leur maître désormais silencieux depuis que la glace qui les abritait fondait sans qu'ils ne sachent pourquoi. Les bois et les rivières de Tykran lui furent aussi présentés: les hommes-insectes de ce monde se figèrent et regardèrent le ciel, comme poussés par des instincts qu'ils ne pouvaient pas comprendre. Les hommes-chiens d'Yuilo, le monde solitaire de Polaris qui hébergeait des formes de vie qu'un humain aurait trouvées familières, firent une pause dans leurs incessantes guerres et reniflèrent l'air quand il y passa, invisible.

Mondes après mondes, ils défilèrent sous ses yeux, tous des terrains de bataille dans les guerres à venir, tous des fiefs qui pourraient être les siens s'il acceptait son destin. Tout ce qu'il avait à faire, c'était d'ouvrir la bouche, de répéter les mots qu'ils lui chantaient et rejoindre le chœur, la danse infinie, la musique des sphères, une chanson de guerre, de gloire et de pouvoir.

Kensuke hésitait mais ne savait pas pourquoi. Chaque fibre de son être lui criait de réciter le serment, de rejoindre le chant, de pousser les cris de guerre. Malgré toute sa soif de destruction, malgré son envie de vengeance contre ceux qui l'avaient blessé, malgré ses envies de finalement posséder les armes qui remplissaient ses rêves, il resta pétrifié quand une voix minuscule dans son esprit lui dit de partir, de rejeter l'offre, car son humanité était le prix à payer pour posséder un tel pouvoir.

"L'humanité est condamnée", lui répondit le chœur. "Tu as lu les prophéties de la Chute Finale et les a vu s'accomplir. Les seules armes qui peuvent sauver l'humanité détruiront tout ce qui définit cette pathétique race humaine. Renonce à ton nom et prends celui Que l'On Ne Peut Nommer et Il te libera, car seul le pouvoir apporte la liberté et Il a le pouvoir de te sauver. Sois son champion, sa voix, sa main. Renonce à ton humanité et tu obtiendras tout ce que tu désires vraiment."

'Tu veux devenir un esclave pour l'éternité?' répondit la voix tout au fond de lui. 'Il te dévorera et il ne restera rien de toi à part une coquille vide, un outil obéissant à sa volonté. Plutôt mourir!'

'Tu ne peux pas t'en sortir', répondit le cosmos. 'Tu n'es qu'un engrenage dans une machine qui reproduit une histoire dont la fin ne peut pas être changée. Accepte ton destin et tu l'aimeras. Rejette-le et tu ne connaîtras que misère et souffrance avant ton inévitable mort. Il n'y a pas d'alternative.'

Même l'univers peut commettre des erreurs. Un grand vacarme éclata dans le cosmos, un grondement qui interrompit la musique des sphères, la chanson de guerre et la danse du grand sultan en son centre. Son appel ne pouvait pas être repoussé et le monde tout autour de Kensuke tomba en morceaux.

Il cligna des yeux et il se releva dans son lit pour voir que le soleil brillait à sa fenêtre. Son chat, complètement effrayé, sauta du lit pour se précipiter vers la porte fermée de la chambre. L'animal la percuta de plein fouet et s'assomma. Kensuke se rendit compte que ses draps étaient recouverts de sueur, tout comme son pyjama.

'Quel cauchemar', se dit-il. 'Ca doit être la lecture de tous ces textes.' Cependant, ils l'aidaient à s'approcher de la vérité et il avait déjà lu trop de détails troublants pour s'arrêter maintenant. 'Je dois me dépêcher', pensa-t-il. Le temps s'écoulait inexorablement. Et il n'aurait pas deux fois un tel sursis.

_*_

Touji et Asuka répétaient une fois de plus la chorégraphie de leur duel à l'épée. C'était la répétition finale et Shinji était impressionné par leur habileté au combat et effrayé à l'idée qu'ils fassent un faux pas et se blessent. Les épées n'étaient pas aiguisées mais elles pouvaient quand même mutiler quelqu'un. Et les duellistes semblaient prendre beaucoup trop de plaisir à s'affronter pour que Shinji ne s'en inquiète pas.

Le combat avait lieu juste avant la scène du banquet qui était le point culminant de l'intrigue. Tout le monde avait mis son costume, les décors étaient en place et c'était vraiment impressionnant. Shinji n'avait jamais vu de pièce de théâtre scolaire aussi bien préparée. Namura-sensei avait vraiment fait le maximum.

Shinji restait dans les coulisses durant cette scène mais il avait beaucoup de texte dans la suivante... comme tous les personnages qui n'étaient pas morts avant le banquet. Kozue, qui jouait le rôle d'une des prêtresses qui servaient Cassilda, s'était approchée de lui et lui toucha son bras. Elle avait des cheveux châtains courts et ses lunettes ne parvenaient pas à cacher ses yeux bleus. "Cet éclairage va me rendre folle." Elle leva la tête vers les lampes qui continuèrent à s'éteindre et à se rallumer de façon totalement aléatoire. "On dirait une espèce de code secret."

"Je pense que c'est juste les gens qui s'occupent de l'éclairage qui sont incompétents." Namura-sensei les avait injuriés une bonne douzaine de fois depuis la première répétition.

"C'est juste... angoissant. Toute cette pièce de théâtre est effrayante. Tu ne trouves pas?"

Ses bras commencèrent à trembler légèrement et il les frotta pour les réchauffer. "Si. Et ces affiches me tapent aussi sur les nerfs. Je n'aime pas le Signe Jaune ou quel que soit le nom qu'il lui donne", expliqua-t-il. Le symbole n'était juste qu'une espèce de spirale gribouillée n'importe comment avec un point au milieu, mais il le trouvait particulièrement dérangeant.

"Démon déloyal! Vous avez trahi mon roi, l'homme que J'AIME!" cria Asuka sur scène en passant son épée 'à travers' Touji. Des coulisses, on voyait clairement que l'épée passait sous l'aisselle du garçon mais de la salle, l'illusion était parfaite.

Kozue donna un léger coup de coude à Shinji. "Alors, dis moi... Laquelle préfères-tu VRAIMENT? C'est vrai que Rei est ta petite amie comme le prétend la rumeur?"

Shinji se mit à rougir. "Je... Je n'ai pas de petite amie."

"Uoht, vile CHIENNE dévoreuse de choucroute!" hurla Touji avant de tomber en arrière et de crier "AAAAAAAH!" quand sa tête percuta le sol. Il s'était cogné à chaque fois qu'ils avaient répété cette scène.

Kozue parut surprise. "Vile chienne dévoreuse de choucroute? Ce n'est pas dans le scénario!"

"COUPEZ!!!!!!!!" hurla Namura-sensei.

_*_

Ritsuko fronçait les sourcils. Quelque chose n'allait pas. Ou plutôt, quelque chose allait beaucoup mieux qu'ils ne s'y attendaient et c'était tout le problème. Pendant les deux dernières semaines, le Chérubin captif avait été dans un état comparable au coma profond. Et maintenant, il était réveillé et se déplaçait dans sa prison, quoique lentement. Sa chair avait arrêté de devenir grise et commençait à reprendre des couleurs. Et tout en faisant les cents pas, il s'était mis à fredonner une mélopée grave au rythme lent et poussait occasionnellement des cris qui semblaient emplis de joie.

"Peut-être qu'il était juste malade", spécula Maya. "Et qu'il est guéri maintenant."

"Il voulait mourir", répondit Ritsuko. "J'en suis sûre. Mais maintenant, il semble attendre quelque chose. Quelque chose qu'il aime."

"Est-ce qu'il est vraiment si intelligent?" demanda Maya.

"Même un chat peut devenir joyeux en sachant que l'heure du repas approche", expliqua Ritsuko en espérant que ce n'était pas le cas.

Le chérubin tourna la tête dans tous les sens comme s'il cherchait quelque chose puis se remit à fredonner son incompréhensible chant.

_*_

Rei se leva de son lit, le malaise clairement visible sur son visage. Elle traversa lentement sa chambre et sortit par la porte d'entrée pour aller sur le balcon.

Elle regarda les étoiles, comme si elle en cherchait une bien particulière. Au loin, l'étoile Aldébaran brillait dans le ciel dégagé et Rei fut hypnotisée par sa lumière étincelante dès qu'elle la vit.

Et tout en regardant fixement l'étoile, Rei se mit à fredonner une mélodie désunie .

_*_

Asuka se rallongea sur le canapé et fronça les sourcils. "Tu veux qu'on recommence?"

"Et bien.... Je...." Shinji se gratta l'arrière du crâne. "Tu n'es pas fatiguée?"

"Un peu", admit Asuka. "Mais... Je ne suis pas toujours satisfaite av-"

C'est à ce moment que Misato entra dans le salon, une bière dans une main et une tranche de pizza dans l'autre. Elle fit une pause, dévisagea ses deux colocataires sur le canapé et fronça les sourcils.

"Vous avec encore remis ça?" demanda-t-elle, exaspérée. "Vous avez fait la même chose chaque nuit pendant toute la semaine, vous savez."

"Hé, je ne veux pas avoir l'air ridicule devant les autres!" répliqua Asuka. "Et je n'arrive pas à dormir de toute façon. Quelque chose... me met mal à l'aise. Et toi, Shinji?"

Le garçon hocha la tête. "Moi aussi."

"C'est le trac qui précède la première représentation", expliqua Misato. "Détendez-vous un peu. Vous avez tellement répété cette pièce que JE connais certaines répliques."

"Vraiment?" demanda Shinji, clairement sceptique.

Un sourcil s'arqua sur le visage de Misato. Elle but sa bière, s'essuya la bouche, respira à fond et se redressa. Elle avait une expression sérieuse et pensive, et c'était quelque chose que Shinji et Asuka ne voyaient que rarement sur le visage de leur commandant quand elle était à la maison.

"Dame Uoht ou Dame Cassilda? La perplexité la plus amère ronge mon cœur. Deux femmes d'une nature plus qu'opposée, que mon cœur ne peut départager: Uoht avec sa passion ardente, Cassilda avec sa nature sereine et douce. Maudit par la chance, je suis."

Asuka et Shinji l'observaient, étonnés par sa performance d'actrice. Misato interrompit cet instant magique en souriant et en se penchant vers Shinji. "Alors, qui préfères-tu", demanda-t-elle bizarrement. "L'ardente Uoht ici présente, ou Cassilda la sereine?"

Les pupilles de Shinji s'élargirent sous le choc et son visage devint complètement écarlate. "Ce- Je- ce n'est - euh-"

Misato se mit à rire et ébouriffa gaiement les cheveux du garçon. "Oh, Shinji, c'est tellement facile de te taquiner." Elle reprit une expression sérieuse et les dévisagea tous les deux. "Maintenant, vous allez dormir. Il est déjà tard. Ne vous inquiétez pas autant pour la pièce et vous vous sentirez mieux. Compris?"

"Euh, compris", répondit Shinji.

Asuka fronça les sourcils. "Tsss, Misato veut juste qu'on s'endorme pour pouvoir regarder les émissions pour adultes à la télévision."

"HE!" protesta la jeune femme.

Ils laissèrent Misato seule avec la télévision et partirent vers leur chambre, mais Asuka hésita sur le seuil de sa porte.

"Hé, Shinji?"

"Oui?"

"Juste par curiosité", demanda Asuka en essayant de paraître désinvolte. "Si tu étais le Roi Alar..."

"Hein!?"

Asuka secoua la tête. "Non, laisse tomber. Bonne nuit, Shinji."

_*_

La nuit suivante...

Misato était assise au milieu de la salle avec Makoto et Kaji à ses côtés. Ritsuko était censée venir à l'origine, mais elle avait finalement renoncé à la dernière minute. Encore une expérience qu'elle ne pouvait pas abandonner. Maya et Shigeru auraient eux aussi dû être à côté de Misato, mais ils étaient arrivés en retard et ils avaient été obligés de s'asseoir ensemble au fond d'une salle déjà remplie de spectateurs. Misato se demanda si Shigeru ne l'avait pas fait exprès; elle avait remarqué qu'il semblait s'intéresser à Maya, même si celle-ci ne semblait pas s'en apercevoir.

La représentation avait été très bonne jusqu'à présent, même si la pièce était un peu bizarre. L'intrigue principale était facile à suivre. Le vieux roi était mort et le nouveau roi devait choisir une femme pour engendrer un héritier et renforcer son trône. Tout le monde à la cour essayait de manœuvrer pour lui choisir une reine, mais le Roi n'avait d'yeux que pour deux femmes totalement différentes. 'Le mâle typique', pensait Misato.

Shinji interprétait le Roi Alar, le roi indécis d'Yhtill. Asuka était une des deux épouses potentielles ainsi que le Champion Royal, Uoht. Rei jouait l'autre prétendante, Cassilda, la Haute Prêtresse de Lenilda la Déesse de Lune, la Dame du Lac. Ils jouaient tous très bien leurs rôles, même s'il semblait évident que le metteur en scène avait choisi les acteurs pour qu'ils interprètent des personnages très proches de leurs vraies personnalités. Mais Misato était loin de trouver l'idée mauvaise.

Plusieurs autres facteurs venaient compliquer l'histoire. En plus des longs discours philosophiques que Misato avait à peine écoutés, il y avait plusieurs intrigues parallèles. Il y avait des rumeurs dangereuses sur les royaumes voisins de Xoth et Hyades et tout le monde se battait pour décider avec quel royaume s'allier dans l'inévitable guerre ou s'il fallait rester neutre. Uoth affirmait qu'il fallait s'allier à Hyades, leur allié depuis des générations, tandis que son rival Thale (joué par Touji) préconisait une alliance avec l'empire plus puissant de Xoth afin de partager les fruits d'une victoire plus probable. Cassilda était elle partisane d'une neutralité complète, ainsi que la promotion des sciences, de la religion, et de la réparation des places fortes que le père du roi Alar avait grandement négligées.

Et tout devenait encore plus compliqué si on tenait compte du complot entre Thale et une des subalternes de Cassilda pour faire exiler Uoth, des efforts de la Reine Mère pour qu'Alar épouse une femme de son royaume natal, de l'amour interdit d'une écuyère d'Uoth pour Thale et de la présence d'un mystérieux personnage qui semblait prendre du plaisir à provoquer la discorde, l'Etranger au Masque Pâle.
Kensuke interprétait ce rôle et Misato trouvait qu'il faisait une très bonne performance. A la différence des autres acteurs, son personnage était très différent de sa vraie personnalité : l'Étranger était un comploteur et un manipulateur à l'esprit plus que tordu. Alors que s'approchait la fin du premier acte, toutes les inimitiés et toutes les querelles du royaume étaient sur le point de s'enflammer et personne ne savait encore qu'il en était le responsable.

Misato trépignait d'impatience et se demandait ce qui allait arriver. Elle n'avait jamais entendu parler de cette pièce, mais elle espérait qu'elle ne finissait pas par la mort de tout le monde; les pièces de ce genre étaient une perte de temps. Makoto et Kaji semblaient captivés eux aussi, comme tout le reste des spectateurs.

Plusieurs personnes semblaient d'ailleurs un peu trop captivées: dans un coin de la salle, certains spectateurs avaient commencé un débat plutôt tendu à propos de la pièce et plus loin, un couple commençait à se déshabiller et à se peloter. Misato détourna son regard pour aussitôt apercevoir un homme horrifié qui regardait la pièce, le visage déformé par la peur. Misato observa la scène et ne vit que l'Etranger qui chuchotait quelque chose à la Reine Mère au cours d'une audience privée.

Elle jeta un nouveau coup d'œil et l'homme s'était penché en avant, avait le visage entre les genoux et pleurait. En fait, un bon nombre de spectateurs s'étaient mis à sangloter, à pleurer, ou à crier. Il devenait de plus en plus difficile d'entendre ce qui se passait sur scène avec ce vacarme et Misato sentait des frissons parcourir tout son corps. 'J'espère que ça ne se produit pas à chaque représentation', se dit-elle.

_*_

Dans les coulisses, Shinji s'était appuyé contre un mur et respirait profondément. La pièce était intense, trop intense. Quand Uoht et Thale... Quand Asuka et Touji avaient levé leurs épées en signe de provocation, il avait crû l'espace d'un instant qu'ils allaient s'entretuer. Touji était maintenant dans les coulisses situées de l'autre côté de la scène. Il se préparait à interrompre une réunion entre Asuka/Uoht et ses alliés grâce aux confidences de Yhbb, le personnage d'Hikari. Cela provoquerait leur duel à mort plus tard dans la pièce. Pendant un instant, Shinji se demanda s'ils allaient savoir arrêter leur combat à temps.

Il se rappela une dernière fois ses prochaines répliques et elles lui vinrent beaucoup plus facilement que d'habitude. Jouer Alar lui semblait si naturel et tellement simple qu'il se sentait presque englouti par la personnalité du Roi quand il était sur scène. Il s'imaginait facilement agir comme Alar dans ce genre de situation et cela lui facilitait grandement la tâche. Même s'il était convaincu qu'il n'aurait jamais la chance de devoir choisir entre deux femmes dans la vie réelle. "Je me demande si mon admiratrice secrète est dans la salle?', se demanda-t-il. 'J'espère qu'elle n'est pas jalouse.' Cette idée le fit rire.

Il commençait à penser qu'avoir un admirateur secret était certes embarrassant, mais aussi légèrement excitant. Il avait reçu trois autres cartes, avec à chaque fois des haïkus mystérieux qu'il ne parvenait pas à comprendre, mais qui avaient l'air tout de même très gentils. Il regrettait cependant de ne pas connaître l'expéditrice. Misato avait reçu deux déclarations anonymes elle aussi, ainsi qu'un bouquet de fleurs. Asuka avait essayé de découvrir qui les avait envoyé, mais le fleuriste avait refusé de révéler à la jeune fille l'identité de l'acheteur.

'Peut-être que c'est elle', se dit Shinji avant de repousser cette l'idée. 'Si Asuka pensait à moi de cette façon, elle s'approcherait, me jetterait sur son épaule et me traînerait de force avec elle. Tout comme Uoht tente de le faire à Alar dans la première scène de l'acte deux. Ou est-ce que c'est dans le troisième acte?', se demanda-t-il soudainement, en se mettant à paniquer.

Il jeta un coup d'œil sur la scène et se rendit compte qu'il allait devoir bientôt y retourner. 'Rei devrait déjà être là', pensa-t-il. 'Elle rentre sur scène avec moi.'

Une main se posa brièvement sur son épaule. C'était celle de Rei et la jeune fille était vêtue d'une longue et épaisse robe verte avec un capuchon. Un collier 'd'argent' brillait autour de son cou et un pendentif en forme de croissant de lune y était attaché. Les maquilleuses lui avaient dessiné un croissant de lune identique sur le front. La peau de la jeune fille semblait aussi beaucoup plus sombre que d'habitude à cause au maquillage qu'elle portait pour ne pas prendre de coup de soleil avec les lumières de l'éclairage. Shinji était lui aussi maquillé avec le même produit et était loin de se sentir à l'aise.

Elle le regarda fixement, bien que son regard fut aimable, et il la dévisageait en retour. Puis elle hocha la tête et rentra sur scène. Il la suivit en sentant la personnalité d'Alar l'envahir à nouveau; il laissa alors cette dernière parler et agir à sa place. Et la pièce continua.

_*_

Shigeru se sentait très en confiance ce soir : il avait réussi à passer un bras autour des épaules de Maya depuis quinze bonnes minutes et la jeune femme n'avait pas protesté. Et vu le nombre de couples autour d'eux qui n'hésitaient pas à aller beaucoup plus loin, Shigeru commençait à se dire qu'il tenait peut-être sa chance. Mais s'il vait réfléchi une seconde fois au problème, il se serait rendu compte que si Maya ne lui avait pas dit de retirer son bras, elle n'avait pas non plus eu l'air de s'en rendre compte. Elle semblait plutôt captivée par ce qui se passait sur scène.

Car sur scène, Yhbb discutait avec les autres écuyères et essayait de trouver le courage suffisant pour avouer son amour à Thale. Les écuyères tentaient de la décourager en lui rappelant qu'elle servait Dame Uoht, et qu'il ne l'aimerait jamais car Uoht était son ennemie. Cependant Yhbb refusait de les écouter, ou c'était tout du moins ce qu'elle disait. Mais la volonté semblait vaciller et ses paroles devenaient de plus en plus confuses.

Maya murmura "Il faut le faire sinon tu le regretteras toute ta vie" au moment même où Shigeru commençait à se pencher pour vers elle pour essayer de l'embrasser. Il prit ces paroles pour un encouragement et l'embrassa passionnément. Maya fut extrêmement choquée, mais Shigeru ne se rendit pas compte de la réaction de la jeune femme, trop heureux de voir se réaliser si facilement son plan.

Une seule chose empêcha Misato de subir un destin semblable. Elle ne remarqua pas les deux têtes qui se rapprochaient d'elle parce que, comme plusieurs autres personnes dans l'auditoire, elle était trop occupée à encourager Yhbb à tout avouer à Thale. Kaji et Makoto tentèrent leur chance en même temps et se heurtèrent violemment la tête. Ils tombèrent à la renverse, stupéfaits, et Misato les dévisagea tous les deux. "Mais bon sang, qu'est-ce que vous faites?" leur demanda-t-elle. 'Ils voulaient m'embrasser?!' se dit-elle. 'Ou ils voulaient s'embrasser l'un l'autre?! Ce serait le comble!'

Misato regarda tout autour d'elle et se rendit compte qu'une véritable orgie commençait à se développer dans certaines parties de la salle. Elle se demanda si quelqu'un n'avait pas mis des drogues dans le système de ventilation. Un combat éclata de l'autre côté de leur allée, trois rangées en arrière, et six personnes étaient déjà nues près d'une des portes. Elle jeta un coup d'œil derrière elle et aperçut Maya et Shigeru qui s'embrassaient. 'Eh bien, il l'a fait exprès', en conclut Misato. 'Mais je n'aurais jamais imaginé un seul instant qu'elle l'aimait.'

C'est à ce moment que Maya se leva violemment et repoussa Shigeru de toutes ses forces. Il tomba en arrière à travers la rangée et percuta un couple plutôt occupé qui était installé huit siéges plus loin. L'homme délaissa un instant sa compagne, prit Shigeru par le col et le poussa de nouveau. Maya s'était mise à hurler. "AU VIOL!!!!"

Misato chercha Shigeru du regard et se rendit compte que quelqu'un l'avait mis au sol et s'était mis à le tabasser. Kaji profita de l'inattention de Misato pour essayer de l'embrasser à nouveau et elle lui dut le saisir par les épaules pour le repousser. "Arrête ça! Il se passe quelque chose!"

"Je veux ton corps, voilà ce qui se passe!"

"Tu ne peux pas l'avoir! Elle m'appartient!" protesta Makoto.

"La situation ne peut pas être pire", murmura Misato.

Une jeune femme blonde se leva soudain de sa place au milieu de la salle et se mit à crier. "La Nerv cache les preuves sur les vraies origines des Anges! Deux pilotes d'Eva sortent ensemble et j'ai des photos pour le prouver! Vous ne pouvez peut-être pas supporter la vérité mais moi SI! Et je vais la révéler au MONDE ENTIER!" Puis elle se mit à rire comme une maniaque.

Kaji et Makoto s'élancèrent tous les deux sur Misato. 'J'aurais mieux fait de me taire', se dit-elle.

_*_

Les trois membres de la seconde équipe s'étaient imaginés passer une autre nuit calme dans le centre de commandement de la Nerv. Car que ce soit lié à la chance ou une simple coïncidence, rien d'important ne s'était jamais produit durant leur faction.

Mais rien ne dure jamais éternellement.

Ces dames en étaient à la troisième donne de leur traditionnelle partie de poker quand les gigantesques écrans de surveillance prirent une teinte rouge et se mirent à clignoter.

"Qu'est-ce qui ... oh oh."

Les trois jeunes femmes se précipitèrent vers leurs postes respectifs et se mirent à taper furieusement sur leurs claviers. Elles se rendirent compte qu'une signature énergétique anormale était apparue en ville et elles entreprirent d'identifier la menace.

"Merde, sa puissance dépasse nos détecteurs", murmura l'une d'elle.

"C'est confirmé! C'est un Ange!"

"Prévenez le Capitaine Katsuragi et le docteur Akagi!"

_*_

A l'université, Misato avait participé à de nombreuses fêtes et certaines d'entre elles avaient été presque aussi chaotiques que ce qui se passait maintenant dans la salle.

Presque.

"Misato-chaaan!"

"Merde!" Elle esquiva la nouvelle tentative de Kaji, lui donna un coup de genou dans l'estomac et l'assomma finalement avec un coup de coude sur l'arrière du crâne.

C'est à ce moment que son téléphone portable se mit à sonner.

Misato ouvrit grand les yeux et fit la grimace: le timing n'aurait pas pu être plus mauvais. Elle fit une roulade pour esquiver rapidement le fauteuil arraché de son support qu'on venait de lui lancer. L'objet atterrit violemment à l'endroit où Misato se trouvait une seconde plus tôt et la jeune femme profita de sa pirouette pour sortir rapidement son téléphone de son blouson. Elle sauta par dessus un couple qui semblait très occupé sur la moquette du théâtre et mit le combiné contre son oreille.

//"Capitaine Katsuragi!"//

"Je suis plutôt occupée!" hurla-t-elle en évitant une nouvelle série de projectiles divers et variés.

//"Nous avons détecté la signature énergétique d'un Ange en pleine ville! Il est dans le lycée!"//

"Ouais, j'ai remarqué! Je suis en plein dedans!" Enfin plus pour longtemps, si elle continuait à avancer aussi vite. Car Misato avait réussi à éviter plusieurs bousculades, à esquiver une série de coups de pied et de poing, et rampait maintenant à travers le chaos généralisé. Et elle était presque arrivée aux portes de la salle.

//"Vous allez bien, commandant? Qu'est-ce qui se passe là bas?"//

"Tout le monde est devenu fou ici! Nous étions en train de regarder calmement la pièce de théâtre annuelle de l'école quand tout le monde a commencé à devenir dingue!"

//"Nous allons vous envoyer des troupes pour-"//

"Ne faites pas ça! Ce qui se passe dans la salle pourrait agir sur eux! Je n'ai pas la moindre idée sur- HAAAA!"

//"Capitaine!"//

"Je vais bien, j'ai juste dû esquiver des cannettes de soda."

//"Quoi?"//

"Laissez tomber et essayez plutôt de découvrir ce qui-"

La voix de Ritsuko l'interrompit. //"Misato, est-ce que les pilotes vont bien?"//

"Merde! Les pilotes!" Elle se retourna et essaya de voir se qui se passait sur scène. Deux hommes qui se battaient lui bloquaient la vue, mais la situation s'arrangea vite après qu'elle les ait assommés tous les deux avec la crosse de son pistolet.

"Les pilotes, ils... Ils continuent à jouer la pièce!!??"

//"Est-ce que quelqu'un dans le public s'approche d'eux?"//

Misato observa le chaos qui régnait dans la salle et fit une découverte surprenante. "En fait... Attends une seconde." Elle esquiva la charge de trois hommes qui se précipitaient sur elle, envoya le premier dans le décor, assomma le second d'un impressionnant coup de pied retourné et se débarrassa du dernier avec un violent coude à la mâchoire. "Personne n'attaque les acteurs."

//"La pièce s'appelle 'Le Roi en Jaune'?"//

"Oui, c'est ça."

//"Merde. Écoute-moi, c'est très important : il faut que tu empêches les acteurs de continuer à jouer."//

"Une seconde."

Misato évita une nouvelle attaque et arriva finalement aux portes de la salle qu'elle franchit rapidement.

"Bien, maintenant dis-moi ce qui se passe!"

//"Le Roi en Jaune n'est pas juste une pièce de théâtre, c'est... Je suppose que le mot 'invocation' est la description la plus adéquate. Et elle va libérer l'Ange Baraquiel."//

"Vraiment?"

//"Oui". //

"Merde."

//"Tu dois tout arrêter avant que les acteurs ne finissent ou alors Le Roi en Jaune sera possédé par Baraquiel."//

"Compris." Misato se mit à courir dans les couloirs vers l'entrée des coulisses. Une question lui vint soudain à l'esprit et elle rappela aussitôt le centre de commandement de la Nerv.

"Hé," demanda-t-elle. "Pourquoi je ne suis pas affectée comme les autres gens dans la salle?"

//"C'est une bonne question,"// fit Ritsuko. //"Nous essayerons d'y répondre."//

_*_

Quand elle franchit la porte qui menait aux coulisses, Misato sentit un picotement glacial lui traverser tout le corps. Quelque chose n'était pas normal. Vraiment pas normal.

Elle trouva rapidement les acteurs et les actrices qui n'étaient pas sur scène et fut aussitôt dérangée par leurs expressions complètement figées et leurs regards vides.

Puis elle aperçut Kensuke.

Son visage était caché par un masque jaune pâle et grotesque mais, même en restant debout sans bouger, le garçon semblait extrêmement menaçant.

Un des élèves se mit soudain à bouger et entra sur scène, juste au moment où Shinji retournait dans les coulisses et prenait le regard vide qui caractérisait tous les acteurs qui ne jouaient pas.

'Le timing est parfait', pensa Misato.

Elle se précipita à côté du garçon et lui secoua l'épaule. "Shinji!" lui murmura Misato. "Réveille-toi!" Il vacillait quand elle le secouait mais ne reprenait pas pour autant ses esprits.

Même si elle ne voulait pas lui faire de mal, elle se décida à utiliser la manière forte...

*Baffff*

"SHINJI!"

"Oh! Hein? Quoi?" Le garçon cligna des yeux plusieurs fois, son regard devenant plus vivant à chaque battement de cils. "Misato-san? Qu'est-ce qui se passe?"

"Nous sommes en danger. Aide-moi à sortir Asuka de cette transe. Et après, il faudra nous occuper de Rei."

"Asuka est sur scène, Misato. Elle va bientôt commencer son duel contre Thale."

"Merde. Où est Rei?"

Shinji regarda tout autour de lui mais n'aperçut pas la jeune albinos. "Je ne sais pas. Elle devrait être ici, normalement" Il se rendit compte de la torpeur dans laquelle semblaient plongée tous les autres acteurs qui n'étaient pas sur scène. "Mais qu'est-ce qui se passe?"

"L'Ange est ici, Shinji", répondit Misato calmement.

"Q-Quoi?! Comment est-il entré en ville sans qu'on le détecte?"

"Nous l'avons invité sans le savoir", expliqua Misato en continuant de chercher Rei dans les coulisses. Elle se donna ensuite une tape sur le front. "Je peux l'appe- Oh merde! Elle n'a pas son téléphone portable sur elle!"

Shinji se mit à réfléchir.

"Je vais te tuer, sale traîtresse!" cria Thale sur scène. Le bruit des lames de métal qui s'entrechoquaient se mit à résonner dans les coulisses.

"C'est à ce moment que je retourne sur scène et que je les interrompt. Puis Cassilda entre..." Le bras de Shinji se leva d'une façon hésitante puis le garçon pointa du doigt l'entrée des coulisses qui se situait de l'autre côté de la scène. "Là bas!"

"Bien. Va réveiller Rei. Je m'occupe d'Asuka." Misato sortit son pistolet et le prit par le canon pour pouvoir l'utiliser comme un gourdin.

"Vous allez lui tirer dessus?" demanda Shinji, horrifié.

"Mais non, idiot! Va t'occuper de Rei!" Elle se retourna et courut sur scène. Shinji passa derrière le décor pour rejoindre les coulisses où Rei devait normalement se trouver. Et elle était bien là où il le pensait, revêtue du costume des prêtresses de Lenilda avec le visage voilé. Shinji crut voir pendant un instant les yeux rouges de la jeune fille briller à travers le voile. Un croissant de lune d'argent était accroché sur un collier et semblait briller, posé sur sa poitrine.

Elle l'ignorait complètement. Il lui posa une main sur l'épaule. "Rei, reprends-toi."

L'absence totale de réaction sur le visage de la jeune fille le choqua moins que s'il l'avait vu sur le visage d'un de ses autres camarades. Après tout, Rei était... Rei. Mais il essaya de nouveau. "Rei, réveille-toi! Quelque chose a mal tourné! Un Ange contrôle tout le monde!"

Toujours pas la moindre réaction. Elle continuait à regarder la scène comme une marionnette qui attendait que son propriétaire la ramasse et joue avec elle. Elle restait complètement silencieuse et la secouer ne semblait pas non plus la réveiller.

Sur scène, le duel entre Thale et Uoht redoublait d'intensité. Le niveau technique du combat surpassait de loin celui des répétitions car c'était Thale et Uoht qui se battaient et non pas Touji et Asuka. Les deux combattants qui avaient pris possession de ses amis avaient dû s'entraîner à l'épée pendant plusieurs années pour atteindre ce niveau de maîtrise, même s'ils n'existaient pas quelques heures plus tôt.

Ils étaient cependant tous les deux complètement concentrés sur leur combat et Misato se rendit compte qu'ils ne l'avaient même pas aperçue. Cela lui simplifia grandement les choses et elle assomma Thale avec la crosse de son pistolet. Il poussa un cri de surprise et s'effondra, laissant Uoht dans un état de confusion totale: l'intervention de Misato n'était pas dans le scénario. Uoth se retourna vers le capitaine et dévisagea la femme qui lui criait dessus. "ASUKA, ARRETE DE JOUER LA PIECE!"

"Mère?" demanda Uoht avec un air confus.

"Je ne suis pas ta mère! Tu es Asuka Soryu Langley! Souviens-toi!"

"Asuka... J'ai déjà entendu ce nom dans une histoire d'autrefois. C'était une vaillante et puissante guerrière, mais elle n'est plus", répondit Asuka d'une voix à la fois confuse et courtoise.

Rei s'agita légèrement et Shinji essaya de la secouer de nouveau. Cependant, au lieu de répondre au garçon, elle s'avança vers la scène. Le désespoir fit jaillir une idée dans l'esprit de Shinji. "Cassilda, c'est moi, votre seigneur Alar."

Elle se retourna subitement vers lui et l'expression de son visage passa de la rigidité la plus totale à un calme olympien. "Alar." Sa voix avait maintenant un ton plus chaleureux et avait perdu son calme habituel pour prendre des intonations qui auraient trahi le bonheur chez la plupart des gens. "Vous êtes venus me voir."

'Et maintenant, qu'est-ce que je dois faire?' se demanda Shinji. Il essaya désespérément de penser à quelque chose qui pourrait faire réagir Rei et lui rappellerait sa véritable identité. Le garçon sentit un frisson le parcourir et il sentit que quelque chose s'approchait. Quelque chose qu'il ne voulait pas affronter.

Misato commençait à désespérer; elle ne pouvait sûrement pas donner une baffe à Asuka... pas tant que la jeune fille aurait une épée en acier de plus d'un mètre cinquante dans les mains. "J'ai entendu dire que cette Asuka était une lâche."

Le visage d'Uoht s'obscurcit. "C'est faux."

'Bingo! Son orgueil va la sauver!' pensa Misato. "J'ai entendu dire qu'un certain Touji était un bien meilleur pilote d'Eva qu'elle. Elle est partie en s'imaginant qu'elle était chevalier dans un royaume magique, alors ils ont donné son Eva à ce Touji."

"Ils... ILS N'OSERAIENT PAS!" cria Uoht. Son visage changea d'expression en quelques secondes. "Ils doivent être fous pour... Mais qu'est-ce qui..." Asuka regarda autour d'elle, l'air confuse, puis se mit à crier: "A TERRE!"

Misato plongea juste à temps pour éviter d'être frappée de plein fouet par l'épée de Thale. Pendant un court instant, elle crut entendre un rire moqueur en provenance des coulisses. Puis Thale se mit à crier. "Jouvencelle! De quel droit avez-vous interrompu le duel! Vous allez être punie pour vos transgressions à mon encontre!"

Cassilda se retourna et regarda la scène. "J'ai toujours su que Thale finirait mal."

Shinji la saisit par les épaules et la força à lui faire face. "Rei, tout le monde est sous une espèce de contrôle psychique! Il y a une attaque d'Ange!"

"Lenilda avait prévu cela. Nous devons aider Uoht. Vous aurez besoin d'elle." Elle commença à se tourner de nouveau vers la scène.

'Merde! Elle refuse d'affronter la réalité!' se dit-il. 'Il doit y avoir un moyen de la faire redevenir à la normale. Quelque chose qui... Le film. Elle essayait de comprendre le film', pensa-t-il. "Tu te souviens du film? Quand ils étaient debout au milieu des cerisiers en fleurs?"

"Je me souviens," répondit-elle faiblement. "Tu marchais avec moi au milieu des arbres et nous... Nous..." Le visage de Rei devint encore plus troublé que tout ce que Shinji avait vu auparavant chez la jeune fille. "Je voulais..." Elle se mit à rougir faiblement et Shinji se dit que ça devait être dû au contrôle mental de la pièce. Puis elle se tourna vers lui et sembla se reprendre. "Votre Majesté, je..."

"Tu t'en souviens, n'est-ce pas?" demanda aussitôt Shinji. "Tu te souviens du film que tu es allée voir avec Asuka, Touji, Kensuke, Hikari et moi?"

Rei fronça les sourcils et sembla complètement déstabilisée par la question. "Ces noms... Ils me sont familiers." Elle secoua la tête. "Ne me parlez plus de ces gens, mon Seigneur! Je-"

"Tu dois t'en souvenir!" cria un Shinji désespéré. "Après nous sommes allés faire du shopping, tu as acheté une robe bleue très jolie et je t'ai dit que tu étais belle! Rei, essaye de réagir!"

"Je... La robe..."

"Et ensuite nous sommes allés dans une salle d'arcade et tu as battu Asuka, tu te souviens?"

Rei sembla sourire légèrement. "Battu... Asuka..."

"Rei? Tu te souviens? Rei?"

Les yeux de la jeune fille trahirent sa confusion et son front se plissa sous le poids des souvenirs. Le plan de Shinji semblait marcher.

Le garçon en profita pour regarder ce qui se passait sur scène. Misato esquivait les attaques de Thale tandis qu'Asuka essayait désespérément de la protéger. Malheureusement pour elle, Asuka n'était pas au niveau d'Uoht dans le maniement de l'épée. Maintenant, plusieurs autres acteurs étaient revenus des coulisses et tout devenait très confus sur scène. Le pièce prenait une nouvelle direction et essayait de s'adapter à la présence de Misato: plusieurs autres acteurs semblaient maintenant penser qu'elle était la mère d'Uoht, une ivrogne notoire. Misato était loin de trouver ça drôle.

'Peut-être qu'un baiser la réveillera?', se dit Shinji. 'Non, je ne peux pas l'embrasser. Elle... Elle a fermé les yeux. Et je pourrais être à nouveau possédé si je l'embrasse', se dit-il. 'Mais... Qu'est-ce que je peux faire d'autre?' Il se pencha vers le visage de Rei et finit par se décider.

Il l'embrassa.

Sur la joue.

"Je suis désolé, Rei", lui chuchota-t-il.

Rei recula, les yeux grands ouverts.

"Shinji?" demanda-t-elle.

Il hocha la tête, visiblement honteux de son acte, et un petit sourire mélancolique se forma sur les lèvres de Rei. Puis elle pencha la tête en arrière et se mit à humer l'air. Le sourire devint brusquement une grimace et Shinji sauta en arrière en ressentant une sensation de peur primale l'envahir. Rei pivota sur un pied et plongea son regard dans le recoin le plus sombre des coulisses, où Shinji put apercevoir une forme qui semblait les observer tous les deux. Le visage du voyeur semblait plus net que son corps, même s'il était enveloppé par l'obscurité. "Rejoins Langley. Maintenant."

Avant qu'il ne puisse répondre, Rei passa passant instantanément d'un état d'immobilité quasi-parfaite à une vitesse de course surhumaine et se précipita dans les coulisses. L'individu caché dans l'ombre semblait attendre calmement que la jeune fille l'attaque et Rei fonça directement sur lui, laissant derrière elle des empreintes de pas recouvertes de glace. Mais il n'y avait personne à l'endroit où Rei et Shinji avaient vu cette ombre et elle traversa son corps comme s'il n'avait jamais existé..

Pendant ce temps, Shinji s'était retourné et appelait Misato et Asuka. "J'ai réveillé Rei! Venez vite! Nous pouvons sortir par derrière si nous nous dépêchons!"

Asuka et Misato firent volte-face sur scène et se précipitèrent vers le pilote. Elles rejoignirent le garçon en même temps que Rei. La jeune fille avait maintenant un regard glacial et la mâchoire serrée, même si son visage était vierge de toute émotion. Son manque totale d'expression ressemblait à un masque forgé par l'habitude. Et ce masque cachait maintenant les émotions de la jeune fille au lieu de trahir leur absence.

"Sortons de cet enfer le plus vite possible", dit Misato en s'avançant dans le couloir qui passait derrière le décor. "Je me demande comment nous allons battre cette chose, mais..."

"Où est l'Ange?" demanda Asuka.

Les acteurs sur scène essayaient de découvrir où Asuka et Misato avaient bien pu disparaître; ils semblaient incapables de comprendre que les coulisses existaient.

"Il..." Misato ravala sa salive. "Son nom est Baraquiel et il est dans le corps de Kensuke."

"Il est... Quoi?" demanda Shinji "Il l'a possédé? Comment allons-nous arrêter l'Ange sans blesser Kensuke?"

"Je ne sais pas si c'est faisable", expliqua Misato.

"Voilà la sortie" dit Asuka en indiquant les portes.

"Ouais, c'est par là que je suis entrée", répondit Misato en se donnant une tape sur le front.

Ils tentèrent de sortir par l'entrée des artistes mais les portes refusèrent de s'ouvrir. Quelqu'un avait gravé d'une façon ou d'une autre le symbole étrange des affiches de la pièce sur les portes. Le Signe Jaune se mit à rougeoyer et ils ne parvinrent pas à forcer la porte, même en s'y mettant à quatre.

Ils pouvaient entendre la pièce qui continuait sur scène et, parce que plusieurs personnages principaux avaient disparu, une nouvelle intrigue semblait se mettre en place. Asuka jeta un coup d'œil à travers une ouverture dans le décor et se rendit compte que plusieurs personnes du public étaient venues sur scène et interprétaient de nouveaux rôles. Le public encore dans la salle était lui en pleine orgie de violence et de sexe, même si on n'avait pas eu à leur donner de drogue pour qu'ils provoquent une telle émeute.

"Ils ont intérêt à ne pas parler de ça dans mon dossier scolaire", murmura Asuka.

_*_

'Ca' commença à se reprendre à travers Tokyo-3. D'abord de façon lente et subtile, en commençant par de simples échanges d'insultes, des bagarres dans des bars, des couples qui faisaient l'amour sur les toits, des hommes et des femmes solitaires et dépressifs qui décidaient subitement de quitter ce monde trop cruel et de simples disputes familiales ou conjugales. Puis 'ça' s'amplifia, se transformant en un hurlement, une cacophonie de cris qui remplaça les sons qui résonnaient d'habitude en ville par une explosion assourdissante de rage, de luxure, de peur et de désespoir.

Mais tout le monde ne fut pas affecté; certains habitants de Tokyo-3 passèrent une nuit plutôt tranquille devant leur télévision à regarder Nick Hatchett: Chasseur de Robots, ESPN3 ou un film. Mais ces gens là étaient les chanceux qui n'avaient pas regardé le Signe Jaune et n'étaient pas tombés sous son emprise. Pour les autres, cette nuit fut pleine de terreur et d'extase, car leur seigneur et maître arrivait et personne ne semblait capable de lui barrer le chemin.

Le Carnaval du Roi avait commencé.

_*_

Ritsuko maudit l'univers tout entier et continua à rechercher avec son ordinateur les données dont elle avait désespérément besoin. MAGI faisait de son mieux mais Ikari avait apparemment augmenté le niveau de sécurité de certains fichiers qui pouvaient être utiles. 'Lui et sa foutue manie de tout sécuriser au maximum', pensa la jeune femme.

Pour faire encore empirer la situation, le Chérubin s'était mis à chanter une nouvelle litanie. Ritsuko ne savait pas ce que ça signifiait, mais elle pouvait clairement entendre ce chant complexe et guttural à travers les murs épais de la cellule. Et c'était suffisamment dérangeant pour qu'elle s'en inquiète. Cependant, elle savait aussi que si la bête ne s'était pas mise à chanter ainsi, elle serait sans doute allée voir la pièce de théâtre et participerait maintenant à la folie qui y régnait.

Et c'était bien la seule raison pour laquelle elle n'était pas allé voir la pièce; le Chérubin, qui avant ça était dans le coma, devenait de plus en plus gris et semblait se désagréger lentement, s'était subitement réveillé et avait commencé à guérir sans qu'elle puisse trouver une seule raison valable pour expliquer ce phénomène. Mais maintenant, cela lui semblait parfaitement logique.

La créature avait dû commencer à chanter au moment même où les répétitions de la pièce avaient commencé, même si elle ignorait totalement ce fait à l'époque. C'était comme les canaris qui annonçaient les poches de gaz dans les mines. Mais là, c'était un canari très gros et très laid qui lui détectait les Anges.

Ritsuko aurait normalement dû être sur le pont de commandement, mais cet ordinateur était plus adéquat pour ses recherches et elle voulait surveiller le Chérubin. Tout au fond d'elle, elle sentait qu'il allait tenter quelque chose et elle devait être là pour l'en empêcher. Et vu qu'elle piratait les rares fichiers sensibles de la Nerv auxquels elle n'avait pas accès, elle ne voulait pas non plus qu'il y ait de témoins. Il devait bien y avoir quelque chose dans les fichiers, un quelconque plan qu'Ikari avait préparé pour cet Ange. Cet homme avait toujours un plan mûrement préparé à l'avance pour tout ce qu'il allait affronter.

C'était la seule solution: toutes ses tentatives pour contacter le Commandant avaient échoué; il ne répondait pas, même au code d'urgence numéro un. 'Pour une fois que je veux lui parler, il n'est pas là', pensa-t-elle. "Fichier trouvé", annonça Balthazar.

'Parfait' se dit-elle en ouvrant le fichier.

_*_

Contrairement aux autres portes à l'arrière du théâtre, la porte de la réserve où l'on rangeait les accessoires s'ouvrit. "Barricadez l'entrée", ordonna Misato. "Nous devons pouvoir repousser n'importe quel poursuivant."

Asuka et Rei transportèrent rapidement une lourde table devant la porte et Shinji déplaça plusieurs cartons pour les empiler dessus. "C'est un cul-de-sac, vous savez", fit-il remarquer.

"Je sais", avoua Misato. "Et c'est pourquoi il faut bloquer la porte. Maintenant nous pouvons établir un plan tranquillement avant de retourner dans ce chaos."

"Mais qu'est-ce qui s'est passé?" demanda Asuka. "C'est comme si-"

"La pièce contrôlait tout le monde", finit Shinji.

"Mais pourquoi Misato n'a pas été affectée?" demanda Asuka.

Rei regardait attentivement la porte, prête à réagir à tout instant, mais ne participait pas à la conversation. Elle avait retrouvé son calme habituel, tout du moins en apparence.

Misato se mit à caresser nerveusement avec son collier et sembla se détendre progressivement. "A moins que ce ne soit mon porte-bonheur, je ne vois pas ce qu-"

Shinji se tourna vers elle et étudia le pendentif. "C'est peut-être ça!"

"Quoi?" répondit Misato en clignant des yeux.

"Cette chose... Il y avait un symbole identique peint sur cette maison sous l'eau."

Tout le monde regarda Shinji avec perplexité, sauf Rei qui continuait à regarder la porte.

Il fit un pas en avant et toucha le symbole. Celui-ci lui parut chaud, presque bouillant, encore plus que celui qu'il avait touché sous l'eau. "Peut-être que nous pourrions repousser l'Ange avec, comme un vampire avec une croix."

L'idée fit rire Asuka. "Mais bien sûr, un simple collier va effrayer un Ange. Je doute vraiment que ça soit si simple. Ce n'est pas un vampire et on n'est pas dans un film d'horreur."

"Ma vie toute entière est un film d'horreur", murmura Shinji.

Misato regarda son pendentif et fronça les sourcils. "Je vais appeler Ritsuko et voir ce qu'elle en pense." Elle prit son cellulaire et composa le numéro.

"Misato, est-ce que tu portes ton collier?" demanda Ritsuko avant que Misato ne puisse dire un mot.

Misato cligna des yeux. "Oui."

"Cela explique tout. Est-ce que tu es familière avec le concept de masse?"

"Comme en électricité?"

"Oui."

"Tu veux dire que mon collier est une espèce de paratonnerre qui fonctionne avec l'énergie des Anges?"

"Oui. Correctement conçu, le 'Signe des Anciens' agit comme une masse et draine l'énergie que génèrent les Anges et leurs serviteurs dans d'autres dimensions. Mais son fonctionnement exact reste inconnu. Plus la créature qui est affectée par le Signe dépend de ces énergies, plus elle subit les effets du Signe. Un Chérubin ne serait probablement que légèrement dérangé par le Signe, quoiqu'il ne pourrait pas en traverser un. Alors qu'un Ange qui lui a besoin d'un plus haut niveau d'énergie pour agir sur ce plan, sera sérieusement endommagé par simple contact. Mais d'un autre côté, une telle créature réduira sans doute le Signe en miettes en moins d'une seconde. Ce n'est pas parfait, même s'il est vrai que plus le Signe est grand, plus il peut absorber d'énergie."

"Donc, ça me protége des effets de la pièce, mais si j'attire son attention, ça ne pourra pas me sauver?" demanda Misato.

"Exactement. Mais si pouviez en fabriquer un plus grand, vous devriez être capables de l'utiliser. Et de prendre au piège l'Ange dans le corps qu'il possède actuellement. Sa conscience est dans l'acteur qui interprète le Roi en Jaune, mais il ne dispose pas encore de toute sa puissance; les niveaux d'énergie continuent toujours à monter. Il faut le faire avant la fin de la pièce, ou alors il sera invincible sauf face à une Eva. Et il ne vous laissera jamais rejoindre le QG vivants."

Misato jeta un coup d'œil autour d'elle et aperçut dans un coin de la salle des machines pour travailler le métal. Elles avaient été amenées ici quelques jours plus tôt pour fabriquer les épées mais n'avaient pas été ramenées à leur atelier d'origine. Et elle se rendit aussi compte qu'il y avait une autre porte qui menait à l'autre réserve. Elle ne l'avait pas remarquée auparavant et se sentit soudainement stupide. "Et de quelle taille doit être ce signe pour qu'il fonctionne sur Baraquiel?"

"Plus le signe sera grand, mieux ce sera. Mais s'il est trop grand, ce sera difficile de l'utiliser pour piéger l'Ange. Sans oublier que plus vous mettrez de temps pour le fabriquer, plus l'Ange sera fort et plus il faudra un grand Signe pour le stopper. Et même si ça marche, le signe ne l'arrêtera que temporairement, le temps que nous prenions des mesures plus drastiques."

"Est-ce que ça l'empêchera de provoquer cette émeute et de contrôler les gens?"

"Oui."

"Alors nous allons essayer." Misato se tourna vers Shinji, Asuka et Rei. "Est-ce que l'un de vous a participé à des cours de travaux pratiques?"

"Non", avoua Shinji.

"Alors, je sens que nous allons bien nous amuser", répondit Misato.

_*_

"C'est moi qui devrais le faire!" protesta Asuka. "Rei peut très bien faire l'appât."

"Nous n'avons pas de temps à perdre avec ce genre de dispute. Rei est très discrète", répondit Misato. "Et plus rapide que toi. Nous allons l'occuper pendant qu'elle se glissera derrière lui."

"Et qu'est-ce qu'on fera s'il n'est pas paralysé par le Signe?" demanda Shinji.

"Et bien nous aurons suffisamment de problèmes pour ne plus avoir à nous inquiéter de ce petit détail", fit Misato. "Je ne connais pas les capacités physiques de cet Ange."

"Je peux le faire", affirma Rei. Elle souleva l'étoile qu'ils avaient maladroitement découpée dans une plaque de métal et contempla l'œil enflammé grossièrement gravé en son milieu. Le symbole faisait près de cinquante centimètres de large et une douzaine de singes enfermés dans la réserve pendant une heure auraient probablement fait un meilleur travail. Le signe ne semblait pas du tout capable de stopper quoi que ce soit, et encore moins un Ange. Ils avaient même fait un trou dans la plaque, juste au sommet de l'étoile, pour y faire passer une chaîne qu'ils pouvaient fermer avec un cadenas. Si le signe fonctionnait, ce dont ils doutaient tous, ils pourraient "l'attacher" autour du cou de l'Ange comme une laisse. Ce plan leur donnait à tous l'impression d'essayer d'arrêter un Ange avec un lance-pierres ou de suivre un plan de 'l'Agence Tous Risques'. Mais l'Agence Tous Risques aurait probablement gravé le Signe sur le pare-chocs de leur van pour pouvoir écraser l'Ange comme un vulgaire piéton.

Ils débloquèrent la porte et s'avancèrent dans les coulisses. Ils pouvaient entendre le bruit des lames de métal qui s'entrechoquaient sur scène et sentir une faible odeur de fumée. Quand ils purent enfin voir ce qui s'y passait, ils ne découvrirent qu'une marée humaine chaotique où des gens se battaient sauvagement. Beaucoup d'entre eux étaient armés et un bon nombre étaient blessés. Les corps immobiles commençaient à s'accumuler sur scène et plusieurs d'entre eux étaient probablement morts. Les cris 'Xoth', 'Yhtill' et 'Céléano' emplissaient l'air. C'était la reproduction parfaite d'une bataille miniature entre deux armées de fous furieux. Le décor commençait même à brûler à certains endroits.

Et à travers l'obscurité des coulisses, un rire moqueur résonna. Shinji tendit l'oreille; il pouvait entendre de la musique, même s'il ne parvenait pas à découvrir d'où elle venait. Il se rendit compte qu'Asuka semblait elle aussi entendre quelque chose. Il voulut voir comment Rei réagissait et il se rendit compte qu'elle avait disparu dans les ombres des coulisses. Et de ces mêmes ombres, jaillit le Roi en Jaune. Le visage hideux peint sur son masque était souriant d'un côté et furieux de l'autre, mais les deux moitiés exprimaient clairement la folie. "Allez, avancez! Vous devez rejoindre les autres", leur dit-il. "La bataille a commencé et la survie de votre royaume en dépend."

Shinji hésita. 'Mes sujets se battent et meurent. C'est mon devoir en tant que Roi de... Non! Je suis Shinji, pas le Roi. C'est la seule façon d'arrêter tout ça.' Le garçon s'adressa à l'Ange. "Vous ne nous piégerez pas aussi facilement."

"Je vois que votre écuyère est attaquée", annonça aussitôt le Roi en Jaune à Asuka, tout en désignant la scène .

"Je n'ai pas d'écuy- HIKARI!" cria Asuka. Hikari était en effet en plein milieu des combats et semblait avoir été blessée aux deux bras et à une jambe. La jeune fille était en train de perdre un combat contre deux hommes beaucoup plus forts qu'elle, et leurs regards étaient beaucoup trop suggestifs pour qu'Asuka ne comprenne pas les outrages qu'ils comptaient faire subir à son amie. La pilote commença à s'avancer et sentit son esprit s'embrouiller. Pendant un instant, elle hésita; les deux personnalités qui l'habitaient ne voulaient pas laisser Hikari seule. Mais sans arme, que pouvait-elle faire? Depuis son combat contre Thale, elle savait que ses capacités martiales ne faisaient pas le poids face à une armée de possédés. "SOYEZ MAUDIT! TOUT CA, C'EST DE VOTRE FAUTE!" hurla la jeune fille.

"Et vous, Cessila?" demanda le Roi en Jaune à Misato. "Votre amant repose ici, blessé. En fait, vos deux prétendants sont tombés au combat, en traversant le champ de bataille pour vous retrouver." Misato aperçut Kaji qui avait l'air d'être blessé à l'abdomen et était étendu sur le bord de la scène. Et elle vit aussi que Makoto, mal en point, était en train de ramper pour s'éloigner de la rixe. "Si vous ne faites rien, Xoth gagnera la bataille et tuera tous les habitants de la douce Yhtill. Et vos deux soupirants subiront le même sort, bien sûr."

Misato prit son pistolet. "Arrête ça tout de suite ou je redécore les coulisses avec ta cervelle."

"Et vous tuerez celui dont j'ai pris le corps? Je ne pense pas."

Elle pointa l'arme à feu sur le masque et Shinji la regarda faire, stupéfait. "Ne compte pas là-dessus", répondit-elle à l'Ange. "Ca ne peut pas te tuer, mais si ton hôte meurt, ton petit jeu prendra fin. Et je parie que ce sera loin d'être amusant pour toi."

"Vous n'allez tout de même pas tuer Kensuke!" protesta Shinji.

"Kensuke est déjà mort, Shinji. Et je ne peux pas laisser ce bâtard détruire l'humanité."

"Allons, allons", répondit l'Ange d'une voix enjouée. "Je ne suis pas celui que vous devez tuer. Pensez-vous vraiment que cette pièce aurait pu être montée sans que quelqu'un à la NERV ne le remarque? Ce n'est pas comme si tout avait été fait pour la dissimuler. Et d'ailleurs, comment le Commandant Ikari, d'habitude si paranoïaque, a-t-il fait pour ne rien voir, ne rien entendre et ne donner aucun avertissement?"

Misato fronça les sourcils. "Vous prétendez qu'il sait ce qui se passe ici?"

"Comment ne pourrait-il ne pas le savoir? Posez-vous plutôt cette question... Comment votre amie Ritsuko sait-elle ce qui se passe ici? Comment a-t-elle su que c'était lié à la pièce?"

Misato se raidit et se mit à réfléchir. 'Il a raison. Comment Ritsuko était-elle au courant? Elle savait depuis plusieurs jours qu'une pièce était en préparation... Pourquoi sait-elle seulement maintenant que la pièce est liée à l'Ange? A moins qu'elle n'ait trouvé ces informations dans les fichiers de la Nerv après le début de la crise... Mais cela voulait dire que quelqu'un à la Nerv était au courant pour la pièce et ce qu'elle provoque. Et qu'il n'en a parlé à personne. Et comment cette pièce de théâtre a-t-elle atterri dans la bibliothèque de l'école, qui est méticuleusement contrôlé par la NERV? A moins que ce ne soit une trahison. Quelqu'un à la NERV est un traître.'

Asuka soupira. "Il a raison."

Shinji fronça les sourcils. Il savait que c'était un piège. Tout ce que le Roi en Jaune disait était destiné à monter les gens les uns contre les autres. "Peut-être qu'elle vient juste de le découvrir. Vous ne nous aurez pas si facilement!"

"Tu fais vraiment confiance à ton père, mon garçon?" lui dit alors le Roi.

'Pourquoi Rei met-elle tant de temps?' se demanda Shinji. "Il n'a pas toujours été tendre avec moi, mais... Il ne trahirait jamais l'humanité pour les Anges!"

Le Roi se mit à rire. "Il travaille pour eux depuis le début. La Nerv n'est qu'un pion, un jouet dans la guerre que nous menons entre nous, pour nous amuser. Vous pensez vraiment que vous pourriez lutter contre des dieux avec vos misérables et pathétiques machines de guerre si vous n'aviez pas reçu l'aide des dieux eux-mêmes? Les gens de Xoth l'ont cru eux aussi, mais ils ont été trahis à la fin par ceux qu'ils pensaient être leurs sauveurs. Et maintenant l'histoire se répète. Ton père ferait tout par attrait du pouvoir et il ne se soucie de rien d'autre, Shinji Ikari. Tu n'es rien qu'un pion pour lui. Toi et tous les autres."

Shinji se sentit mal à l'aise et essaya de trouver de quelque chose qu'il pourrait employer comme argument contre ceux du Roi. La seule chose qu'il lui revenait en mémoire, c'était un vague souvenir d'enfance où son père souriait à sa mère tandis que Shinji était sur ses genoux. C'était un de ses plus anciens souvenirs et c'était peut-être la seule fois où il avait vu son père sourire. "Il aimait ma mère!"

"Et il l'a laissée mourir. Il l'a sacrifiée dans sa quête du pouvoir. Elle n'est pas morte dans un accident; elle est morte dans une de ses expériences."

Shinji trouva cela terriblement plausible, mais ne voulut pas y croire. 'Je ne peux pas être le fils d'un tel monstre', se dit-il.

Misato observa les coulisses et se demanda où était passée Rei.

Il y eut soudain un grincement au-dessus d'eux et un sac de sable tomba droit sur la tête du Roi en Jaune. Celui-ci évita habilement le projectile en faisant un pas de côté et leva la tête. "Ahh, voilà l'endroit où le dernier membre de cette trinité impie se cach-" Il n'eut jamais le temps de finir sa phrase.

Au moment même où il levait la tête, une forme floue tomba de l'éclairage, une série de bruits de pas résonna dans les coulisses et Rei sortit de l'obscurité. Mais elle ne passa pas le Signe des Anciens autour du cou de Baraquiel ; elle l'utilisa comme une arme pour frapper de toutes ses forces le crâne du Roi en Jaune. Celui-ci ne parut pas autant affecté par le coup qu'il aurait dû; un être humain normal aurait eu le crâne complètement brisé, mais lui ne fit que chanceler. Son cri de douleur fut cependant prévisible. "CHIENNE!" hurla-t-il.

"Le commandant Ikari ne trahirait jamais l'humanité", lui répondit Rei. "Pas comme tu as trahi ta propre espèce." Elle le frappa de nouveau, l'envoyant au sol. "Tu as transformé les Byakhees en démons." Sa voix semblait différente, comme si Rei était redevenue Cassilda.

"Rei, arrête de jouer ton personnage! Mets-lui le Signe autour du coup!" cria Misato.

"Je ne suis pas Rei. Et ce n'est pas un jeu", lui répondit-elle. Son troisième coup brisa le nez du Roi en enfonçant violemment la tête du Roi dans le sol. "Tu as ri quand tu as brûlé la Cité de la Joie. Tu t'es donné au Chaos Rampant pour la vengeance et le pouvoir. Tu as abandonné ton nom, pour ne pas en être prisonnier. Mais tu es prisonnier de cette histoire. Elle te donne le pouvoir de contrôler les autres, mais tu deviens une partie de l'histoire. Et chaque histoire a plus d'une fin."

"Cassilda?" lui demanda faiblement Shinji, sous le choc.

"Tu es morte! Tu es morte et enterrée! Je suis un dieu et tu n'es qu'une mortelle! TU NE PEUX PAS FAIRE CA!"

"Tu as pris forme humaine, inconscient, et maintenant tu ne peux pas m'échapper", gronda Cassilda. "C'est le seul moyen dont tu disposes pour marcher librement sur d'autres mondes, mais tu dois posséder une chair mortelle et la chair mortelle est faible." Elle le frappa de nouveau, lui brisant les jambes. "Et même un dieu peut mourir! N'as-tu pas vu ce qui est arrivé à tes frères? Ungoliant ne tisse plus sa toile. Kanser dort pour toujours. Medusa n'est plus. Les tempêtes de Celui qui Marche sur les Vents se sont dissipées. As-tu imaginé que tu pouvais échapper à ton destin? Que tes frères et toi pourriez ravager l'univers selon votre bon plaisir? La roue du destin a fini par tourner et maintenant elle te jette dans la Géhenne pour y brûler comme la sale ordure que tu es!"

"Je vais quitter ce corps et..." Sa voix passa de la colère à la panique. "Je ne peux pas le quitter!"

"Pas tant que la pièce continue. Tout comme un bébé ne peut retourner dans le ventre de sa mère quand sa tête est déjà sortie, tu es piégé ici." La voix de Rei semblait espiègle, à la limite de la cruauté, et trahissait nettement la colère. "Et puisque tu as toi-même choisi de continuer la pièce malgré les changements, la fin ne viendra pas assez vite pour pouvoir te sauver."

"Tu ne peux pas le tuer! Il est dans le corps de Kensuke! Nous sommes là pour sauver Kensuke!" hurla Shinji.

"Il n'y a pas plus de Kensuke, seulement le Roi en Jaune", répondit Cassilda.

"Kensuke est mort. Et toi aussi", protesta le Roi. "Tu es Rei Ayanami, pas Cassilda. Elle est morte il y a longtemps." Il lui fit un geste de la main. "Retourne d'où tu es venue, car tu n'es qu'une expression de ma volonté!"

"Non, car en changeant l'intrigue, tu m'as libérée de l'incessante répétition des faits. Et tu n'es pas le seul à servir un dieu, Hastur."

"Ne prononce pas ce nom!" hurla le Roi en Jaune. "Je suis Celui Qui Ne Peut Pas Etre Nommé! Je suis l'Indicible!"

"Tu n'es qu'un imbécile." Plusieurs côtes se brisèrent sous un nouveau coup de Cassilda.

"Même si vous détruisez ce corps, vous ne tuerez pas le Roi" intervint Misato. "Mais si vous l'emprisonnez avec le signe..."

Cassilda se tourna vers Misato et se mit à sourire. "Oui, je vais le laisser pourrir dans la chair qu'il possède, pris au piège par ceux pour qui il n'avait que du mépris."

Shinji frissonna en voyant le sourire cruel qui se forma sur les lèvres de Rei. Une série de questions se bouscula dans sa tête. En quel monstre celui qui avait provoqué la destruction de son royaume avait transformé la douce Cassilda? Etait-elle d'une façon ou d'une autre la vrai Cassilda? Avait-elle été humaine? Ou extraterrestre? Qu'est-ce qui se passait? Est-ce que le Roi en Jaune était une histoire vraie?

Elle passa la chaîne autour du cou du Roi. Puis elle se mit à sourire méchamment en appuyant le Signe des Anciens contre la chair de son prisonnier, avant de finalement retirer son masque. Pendant un instant, Shinji espéra qu'elle allait annoncer que c'était le vieux monsieur Crowley, le directeur la fête foraine, qui était le Roi en Jaune. Mais ce fut le visage de Kensuke qui fut révélé et Cassilda dit, "Uoht avait raison. Nous aurions dû te tuer à la seconde où tu es arrivé."

"Le Chaos Rampant vous dévorera tous!" hurla le Roi. "On ne peut se moquer des Dieux Extérieurs! J'ai posé mon regard sur le Trône d'Azathoth! J'ai..."

"Tu as échoué. Et le Héraut des Dieux Extérieurs n'a aucune patience pour ceux qui le déçoivent." Les bruits de bataille s'interrompirent sur scène quand les gens commencèrent à sortir de leur transe. Puis les cris de douleur remplacèrent les hurlements de colère. Des sirènes commencèrent à résonner à l'extérieur de l'école. "Peut-être traversera-t-il le vide infini pour se gausser de toi, mais c'est bien tout ce que tu peux espérer. Au revoir et bon débarras." Elle se tourna vers Shinji, Asuka et Misato. "Et ainsi finit l'histoire du Roi en Jaune, braves gens de Tokyo-3. Les derniers mots ont été prononcés et la pièce est finie. Si nous vous avons offensé, laissez ceci être notre dédommagement." Sa voix résonnait clairement à travers la salle, à la fois triste et sage.

"Non!" cria faiblement le Roi. "Je peux sentir le pouvoir en toi! Tu as le potentiel pour être une des nôtres! Pour marcher parmi les dieux! Chasse cette ombre de ton corps et libère-moi! Je te montrerai la voie."

Pendant un instant, la voix de Rei remplaça clairement celle de Cassilda. "Je ne trahirai pas Ikari-kun." Puis la voix de Cassilda revint, identique à celle de Rei mais plus vieille et pleine d'émotions. "Le rideau est tombé. Adieu et que votre monde ne subisse pas le destin du mien."

"Vous êtes d'un autre monde?" demanda Asuka. "Ils vous ont attaqués aussi? Et c'est le Roi qui vous a trahis?"

"Cette histoire est terminée." Cassilda s'évanouit en prononçant ces mots, tout comme le Roi en Jaune. Quand elle se releva, elle était à nouveau Rei, calme et impassible. Elle passa par-dessus le Roi et rejoignit les autres. "C'est fini."

"Non. Ce n'est que le commencement", murmura Misato.

_*_

Les infirmiers et la police avaient envahi la salle et portaient secours à toutes les victimes que leurs blessures soient physiques ou mentales. Misato regardait la dévastation qui régnait dans la salle avec tristesse.

Ils étaient en guerre et chaque guerre avait ses victimes.

Ils avaient attaché Kensuke dès que le Roi en Jaune s'était évanoui. Et maintenant, il avait repris conscience mais il était toujours possédé. L'Ange s'exprimait par sa bouche, les maudissait, murmurait des paroles incompréhensibles et poussait de temps en temps des cris perçants. Et il refusait de répondre quand Touji et Shinji, qui étaient maintenant à ses côtés, l'appelaient Kensuke.

'Pauvre Kensuke. Ce gamin ne mérite pas ça', pensa Misato.

"Misato?" demanda Shinji. "Que... Qu'est-ce qu'ils vont faire à Kensuke? Ils peuvent le faire redevenir normal?"

"Ils peuvent l'aider, non?" demanda Touji. La voix du garçon tremblait.

"Je... Je ne sais pas, les garçons. Je ne sais vraiment pas."

Tandis que Shinji et Touji continuaient à discuter avec Misato, Asuka entra à l'intérieur de l'ambulance de la Nerv et s'assit à côté de la chose qui avait été autrefois Kensuke.

"Je pense que tu devais être sur le point de découvrir quelque chose", lui dit-elle. "Je le trouverai pour toi, Kensuke. Soit juste patient."

_*_

"Tu n'arrives pas à dormir?" demanda Asuka en s'asseyant à côté de Shinji sur le sol du balcon. Elle passa ses jambes entre les barreaux de la rambarde et les fit se balancer lentement dans le vide.

"Non, je... Je n'aurais jamais pensé que quelque chose d'aussi horrible puisse arriver."

"Je sais", chuchota-t-elle.

"Je veux dire... C'étaient des monstres géants, comme Godzilla. Enfin, non... Pas comme lui, mais... Kensuke... Touji... Hikari... Ils ont failli tous mourir..."

Asuka hocha la tête. Il n'y avait pas beaucoup à ajouter, vraiment. Ils se mirent tous les deux à pleurer et se consolèrent dans une accolade provoquée par leur crainte et leur désespoir.

_*_

La scène qui se déroulait dans un des centres médicaux de la Nerv aurait presque été drôle si elle n'avait pas suivi un drame si sinistre.

Tous les membres de l'équipe du pont de commandement étaient là dans leurs lits, blessés d'une manière ou d'une autre durant la pièce.

"'J'ai... vraiment fait ça?" demanda Shigeru.

Maya hocha la tête.

"Oh... Merde. Maya, je suis vraiment désolé", dit Shigeru. "Je veux dire..."

"Je sais ce que tu veux dire", dit Maya en soupirant. "Nous n'étions pas dans notre état normal, ce n'est pas de ta faute."

"Je sais... mais... Désolé." Il essaya désespérément de disparaître sous ses couvertures, encore plus embarrassé qu'il ne l'avait jamais été.

"Ahah..." fit-il en riant nerveusement. "Je suppose, euh, que cela tue toutes mes chances d'avoir un jour une liaison avec toi, hein?"

A la surprise du jeune homme, Maya se mit à sourire. "Désolée", répondit-elle doucement. "Je... J'aime quelqu'un d'autre."

Shigeru fut encore plus surpris par cette révélation que par le sourire de la jeune femme. Il n'avait jamais remarqué qu'elle avait l'œil sur quelqu'un auparavant. "Ha, oui? Quelqu'un que je connais?"

Elle hocha la tête. "Oui, mais je n'en parlerai pas."

Shigeru soupira. "Et bien, je suppose que cela pourrait être pire. J'aurais pu finir dans le même état que Makoto."

"La ferme!" hurla Makoto.

Kaji se mit à gémir. "Hé, ils y a des gens ici qui ont mal à la tête. Alors fermez-là."

_*_

Shinji rêvait.

Désormais, grâce à sa formation aux rêves que lui avait donné Asuka, il savait faire la différence entre la réalité et ses rêves les plus réalistes.

Il était assis sous l'ombre d'un cerisier en fleur, au sommet d'une colline qui surplombait une vallée encerclée par les arbres.

Deux bras pâles firent le tour de sa poitrine et il sentit un visage délicat se poser sur son épaule.

"Rei?" demanda-t-il.

"Je suis là", lui chuchota-t-elle à l'oreille.

Ils restèrent assis sans rien dire et regardèrent la danse des pétales de cerisier emportés par le vent. Ce moment dura... plusieurs minutes? Plusieurs heures? Shinji ne put le dire.

Rei ne brisa le silence qu'une seule fois.

"Je te protégerai", lui chuchota-t-elle. "Toujours".

_*_

"Pathétiques humains! Ce jouet ne me retiendra pas longtemps!" cria Kensuke tout en martelant la porte de sa cellule. "Et vous ne pourrez plus me lier à la chair! Je suis Celui Qui Ne Peut Pas Être Nommé et ce qui ne peut pas être nommé ne peut être retenu! Je ferai mourir de faim ce misérable tas de viande! Il mourra et je serai libre! Et mes esclaves vous tueront même si je n'arrive pas à revenir! JE VOUS DÉTRUIRAI!" Le Signe des Anciens maladroitement fabriqué par les Children avait été remplacé par quatre Signes mieux conçus. Ils étaient accrochés avec des chaînes sur les murs de la cellule du Roi.

Gendo, qui observait la scène sur un écran, secoua la tête. "Voir Hastur, un des 'seigneurs de la création', produit donc cet effet." Il appuya sur un bouton et un gaz commença à envahir une cellule qui était loin d'être ordinaire. Son occupant tomberait bientôt dans un profond sommeil et la température de la pièce baisserait lentement, refroidissant les ardeurs du prisonnier avec de la glace. On lui avait déjà injecté les produits chimiques spéciaux qui lui permettraient d'y survivre.

"Oui, il est à mourir de rire." Fuyutsuki se mit à sourire d'un air satisfait.

Gendo ne put retenir son hilarité. "Il a raison, cependant. Nous ne pouvons pas le retenir prisonnier indéfiniment. Et si on ne trouve rien d'autre, le corps finira par mourir. Bien sûr, à ce moment-là, nous aurons achevé notre plan et ses semblables ne nous seront plus qu'un mauvais souvenir."

"Ou alors, nous serons tous morts de horrible façon et nos âmes rôtiront lentement dans les feux de l'enfer. En supposant qu'ils ne nous réservent pas un sort plus cruel."

"Ils peuvent facilement trouver pire. Mais je n'aurais jamais osé faire tout cela, si je n'avais pas pensé que nous pouvions gagner. Malgré tous leurs pouvoirs, ils ne sont pas des dieux, seulement des mortels très puissants. Ils ne peuvent pas tout voir, tout faire, ou tout savoir. Ils sont simplement incroyablement puissants. Et il y a un effet que le pouvoir produit toujours sur celui qui le détient. Il leur fait sous-estimer les créatures plus faibles. Ils oublient qu'une armée de fourmis peut tuer un loup et le dévorer, même si le loup est individuellement infiniment plus fort. Ils oublient qu'une horde de piranhas peut tuer une vache qui est des milliers de fois plus lourd que chacun d'eux et qui dispose de 'pouvoirs' que les piranhas ne peuvent même pas comprendre, comme par exemple respirer hors de l'eau. Une simple morsure d'araignée peut tuer un humain, qui dispose pourtant de capacités nettement supérieures. Tout comme l'Ange enfermé dans ce corps dispose de capacités qui nous dépassent."

"Et pour la SEELE? S'ils l'apprennent, ils seront furieux."

"Nous pourrons nous occuper d'eux quand ils ne nous seront plus d'aucune utilité", répondit un Gendo souriant. "De la même façon que ceux qu'ils croient servir les auraient probablement 'récompensés'. En supposant qu'ils les aient remarqués." Il se détourna de l'écran. "Eh bien, nous avons des préparatifs à faire pour notre prochain voyage."

Et ils partirent, laissant le Roi en Jaune continuer à hurler inutilement jusqu'à ce que le sommeil le submerge totalement. Il était en train de maudire le destin que les étoiles lui avaient tracé. Car si elles peuvent donner, elles peuvent aussi reprendre.

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Jimmy bâillait tout en nettoyant les verres sales qui s'étaient accumulés durant la soirée. La nuit avait été plutôt ennuyeuse; quasiment tout le monde était parti du bar pour une quelconque raison. Même le joueur de piano avait pris sa soirée. Seuls quelques habitués étaient venus pour boire un verre ou regarder la rediffusion d'un match de football sur ESPN5.

Puis Neil revint finalement de sa soirée. Il avait l'air plutôt gai et fredonnait une de ses chansons. "Bonsoir, Jimmy."

"Salut, Neil. Cette nuit a été vraiment ennuyeuse. Comment s'est passé la... la pièce de théâtre? C'est bien ce que tu es allé voir, non?" Jimmy n'avait pas la moindre idée de la raison qui avait poussé un homme adulte comme Neil à aller voir une pièce jouée par des gamins. Le barman ne savait même pas quel était le nom de la pièce. Mais c'était surtout parce que Jimmy ne sortait pas beaucoup en ville.

"C'était intéressant. Ils ont modifié la fin de l'histoire. Ca me met d'humeur pour faire de petites improvisations, un peu plus tard."

"Ils ont changé la fin? Alors pourquoi ne pas avoir plutôt écrit leur propre pièce?"

Neil sourit en s'asseyant à son piano. "Tout le monde pense qu'ils ont écrit leur propre fin, mais d'habitude ils jouent un rôle que quelqu'un d'autre leur a écrit. Et ceux qui ne suivent pas le scénario sont généralement punis par ceux qui le conçoivent." Il fit craquer ses doigts et s'adressa ensuite à son maigre auditoire. "Cette chanson-là est dédiée à un de mes amis qui est dans une mauvaise passe. La roue du destin a tourné sans prévenir et il a perdu sa chance." Il sourit, affichant une série de dents parfaitement blanches, et se mit à chanter en jouant le morceau.

o/~ We've got stars directing our fate ~\o
o/~ And we're praying it's not too late ~\o
o/~ Cos we know we're falling from grace ~\o
o/~ Millennium ~\o

Et le joueur de piano continua de sourire car il savait qu'au royaume des aveugles, le borgne était roi.

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-Fin du chapitre 9-

 

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