John Biles & Rod M. Présentent
Un Univers Parallèle à Evangelion
Enfants d'un Très Ancien Dieu
Chapitre 3: Chérubin

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C'était le même rêve que la nuit précédente. Shinji était dans un train maglev qui faisait le tour de la ville.

Il n'y avait pas le moindre bruit à part l'étrange vibration que produisait le monorail à suspension magnétique en se déplaçant sur son rail. Shinji commençait à trouver ce rêve lassant.

Le train pénétra soudainement dans un tunnel et Shinji se retrouva dans l'obscurité la plus totale. Quelque chose se mit à bouger à l'intérieur du wagon. "Ca" se déplaçait dans toutes les directions en faisant un bruit semblable à des coups répétés d'aiguille sur le sol. Shinji tenta de voir ce qui c'était mais le train était toujours plongé dans l'obscurité du tunnel.

"Q-qui est là?"

Une voix aiguë et désarticulée qui ne pouvait être d'origine humaine résonna dans l'obscurité. Shinji ne connaissait pas le mot qui venait d'être prononcé mais il lui semblait étrangement familier.

"Atlach-Nacha."

Le train sortit subitement du tunnel, laissant la lumière pénétrer de nouveau dans le wagon. L'intérieur du train n'était plus qu'un amoncellement de toiles d'araignées. Des toiles de soie argentées étaient apparues partout: sur le sol, le plafond, sur les murs, les fenêtres et entre les fauteuils.

Et au centre du wagon, tournant le dos à Shinji, se trouvait une créature qui ressemblait à une araignée et qui se cachait à l'intérieur de son réseau de toile comme dans un nid.

Tout en combattant la peur qu'il ressentait, Shinji s'avança lentement vers la créature, écartant de ses mains tremblantes toutes les toiles qui étaient sur son chemin. Et tandis qu'il s'approchait, la créature se retourna pour lui faire face, toujours cachée par les toiles.

Il écarta enfin la dernière toile d'une main qui tremblait horriblement et il put contempler la créature.

Il hurla.

Car bien qu'horriblement déformé, le visage du monstre était toujours reconnaissable. C'était le sien.

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Le monde tout autour de lui semblait flou mais Shinji s'en moquait, essayant laborieusement de marcher jusqu'à l'école. Il avait très peu dormi après son cauchemar et il était complètement épuisé.

'Peut être que je ne devrais pas aller à l'école aujourd'hui,' se dit-il. Il s'arrêta, se pencha en avant et inspira profondément plusieurs fois de suite. Sa vision s'obscurcit soudainement et il s'écroula sur le sol.

Deux mains le saisirent alors et l'aidèrent à se relever.

"Ikari."

Shinji secoua la tête, ouvrit les yeux et plongea son regard dans une paire d'yeux rouges.

"Oh! Ayanami!" dit-il faiblement. "Bonjour."

"Tu ne vas pas bien."

Il crut percevoir de l'inquiétude dans la voix de Rei, mais il mit ça sur le compte de la fatigue.

"Je n'ai pas beaucoup dormi la nuit dernière."

"Je vois."

Ils restèrent immobiles quelques instants. Shinji respirait profondément et Rei le regardait. Ils étaient tous deux indifférents à la foule qui se déplaçait dans les rues de Tokyo-3 ce matin là.

"Je me demande si je ne devrais pas plutôt rester à la maison aujourd'hui."

Rei semblait intriguée. "Rester à la maison?"

"Je ne sais pas si j'aurai la force d'endurer toute une journée d'école."

"Tu ne vas pas à l'école maintenant."

Shinji fut surpris. "Je ne vais pas à l'école?"

"Le Dr Akagi doit nous faire passer des tests aujourd'hui."

"Oh, non!"

"Nous retournerons à l'école pour la troisième heure de cours."

"Génial", marmonna Shinji. Encore des tests ET l'école.

_*_

L'atroce goût du LCL ne voulait pas quitter la bouche de Shinji. Le Dr Akagi lui avait dit que cet effet secondaire disparaîtrait progressivement à mesure que son corps s'habituerait au LCL. Mais cela n'aidait pas Shinji à se sentir mieux.

Seul, il errait dans les couloirs de la NERV en tirant la langue, cherchant désespérément un moyen efficace de faire partir le goût du LCL de sa bouche. Il finit par trouver un distributeur de boissons gazeuses.

Il ouvrit rapidement sa canette et but lentement pour conserver le liquide à l'intérieur de sa bouche, dans l'espoir de faire disparaître le goût de goudron et de viande faisandée du LCL. Mais le LCL sembla amplifier le goût du soda, le transformant en un nouveau liquide plus dégoûtant et nocif que tout ce que Shinji aurait pu imaginer. Le garçon se précipita vers la fontaine d'eau fraîche la plus proche pour tout recracher.

Shinji s'efforçait de reprendre son souffle et se demandait si boire le soda rapidement aurait été une meilleure solution, quand il passa devant la porte du hangar gigantesque où les Evas étaient entreposées.

Et il vit Rei, qui lui tournait le dos, parler avec son père.

Son père.

En train de parler.

De sourire.

De rire.

Shinji sentit l'amertume et la jalousie l'envahir. Son père ne lui avait pas dit un mot depuis le jour de son arrivée, pas UN mot. Et il était là, à parler avec Rei, à lui sourire, à rire avec elle, à...

Shinji s'éloigna, l'amertume de son âme en accord parfait avec le goût atroce dans sa bouche.

_*_

Le train qu'ils avaient pris pour retourner à l'école troublait vraiment Shinji. Il ressemblait beaucoup trop à celui qui hantait ses nuits depuis peu. Mais c'était l'endroit parfait pour poser les questions qui le tourmentaient.

"Rei?"

Elle se retourna pour lui faire face. Le manque total d'émotion sur le visage de la jeune fille ne troublait plus Shinji comme auparavant, mais cela le rendait toujours un peu nerveux.

"Je, euh..." Shinji se gratta la tête, il ne savait pas comment formuler sa question. "Qu'est-ce que mon père aime?"

"Aime?" demanda-t-elle, apparemment troublée par la question.

"Je... Je ne lui ai pas parlé", expliqua Shinji. "Pas depuis que je suis revenu." Il tourna la tête et son visage s'assombrit. "Je ne sais pas ce qu'il pense de moi. Je ne sais pas même pas si je compte vraiment pour lui."

Rei sembla subitement plus perplexe.

"Je... Je ne sais même pas pourquoi je me suis donné la peine de venir ici."

"Tu es ici pour piloter une Eva, tout comme moi."

"C'est donc ça?"

Rei haussa les épaules.

"Je t'ai vu parler avec mon père. Il te souriait et riait. Pourquoi?"

"Je ne sais pas."

"Tu ne sais pas?"

Rei tourna la tête vers une fenêtre du wagon qui donnait sur l'océan.

Se sentant trop fatigué et perplexe pour continuer cette conversation, Shinji s'allongea et profita de dix dernières minutes du trajet pour dormir .

Et durant son sommeil, il rêva de voyages à bord d'un train maglev.

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Elle regarda le scénario comme tous les autres soi-disant journalistes et soupira. La NERV voulait que la conférence de presse se déroule calmement, ce qui expliquait l'utilisation de scripts. Le scénario de la conférence ressemblait à un exercice de propagande, mais cela ne la surprenait vraiment pas. Et elle ne ferait rien pour s'y opposer. Personne ne faisait rien pour s'y opposer depuis que le gouvernement avait mis ce système en place après le Second Impact.

La multiplication des catastrophes naturelles avait rendu très facile la transformation des nations libres en de véritables états policiers.

Le terme "Liberté de la Presse" ne voulait plus rien dire depuis longtemps, mais ce n'était pas ce qui inquiétait Megumi Kunzama. Elle était depuis suffisamment longtemps dans le métier pour savoir que la curiosité pouvait être "très dangereuse" et risquait même de devenir une expérience systématiquement "fatale" dans un proche avenir.

Donc elle lirait le script, dirait ses lignes et rentrerait à la maison en sachant qu'elle avait bien fait son travail.

Megumi fit beaucoup d'effort pour ignorer la petite voix, qui dans sa tête, lui disait de faire autrement.

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"Moi?! Pourquoi moi?!" cria Maya, complètement abasourdie. Puis elle se souvint que son interlocuteur était le commandant Ikari. "Heu, Monsieur, Commandant, je veux dire Monsieur. Pourquoi moi, Monsieur?"

Gendo fronça les sourcils. "Vous êtes photogénique. Maintenant, suivez les ordres. Voici le script de la conférence."

Gendo et le Vice-commandant Fuyutsuki sortirent de la pièce, et Maya se retrouva seule dans le bureau.

"Je crois que c'est la chose la plus proche d'un compliment qu'il ait jamais dit en ma présence." Maya secoua sa tête, prit une profonde inspiration et sortit de la pièce. Qu'elle le veuille ou non, c'était l'heure de la conférence.

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Megumi s'était assise confortablement pour assister à la conférence de presse ou plutôt à la blague, au mensonge, à la parodie qui faisait office de conférence de presse.

Le journaliste du Nippon Sun lèverait la main parmi celles déjà levées et il serait sélectionné. Et même s'il ne levait pas la main, il serait sélectionné.

Le journaliste poserait la question qui lui était assignée et son interlocuteur y répondrait avec des mensonges soigneusement préparés.

Et les autres lèveraient à nouveau leur main, prêts à vendre leur âme pour ne pas être exclus de cette parodie. Et qu'est-ce qu'elle faisait au milieu de tout ça? Elle s'apprêtait à vendre elle aussi son âme.

Mais avait-elle vraiment le choix?

"Bonjour", dit une femme qui devait avoir au moins dix ans de moins que Megumi. "Je suis Maya Ibuki, porte-parole de la NERV. Nous sommes une division des Nations Unies, spécialement créée pour affronter des créatures semblables à celle qui a attaqué Tokyo-3, il y a plusieurs jours."

La jeune femme souriait nerveusement. 'Ils l'ont probablement choisie parce qu'elle a un beau visage', se dit Megumi. La journaliste n'écoutait même pas ce que disait la porte-parole. Elle se servirait du script de la conférence pour faire son article, alors pourquoi se donner cette peine?

'Oui, pourquoi se donner cette peine...'

Son rédacteur lui avait parlé de l'époque qui avait précédé le Second Impact. Une époque où les médias disposaient d'un vrai pouvoir, où ils n'hésitaient pas à attaquer le gouvernement. Elle avait toujours était fascinée par les histoires de son rédacteur et elle souhaitait souvent revenir en arrière dans le temps et revivre les derniers jours de gloire de la presse.

"Une autre question?"

Megumi réalisa soudain que c'était son tour.

Elle connaissait sa question, ou plutôt sa réplique. C'était à son tour de prendre part à la mascarade.

Elle pouvait se rebeller, oublier son texte et demander ce que tenter de dissimuler la NERV.

"Megumi Kunzama, Japan Today. Combien y a-t-il eut de blessés durant l'attaque?"

Une voix dans sa tête la traita de lâche.

Megumi tenta de l'ignorer.

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La journaliste tentait de combattre ses doutes en imitant ce qu'avaient fait plusieurs figures légendaires de l'histoire. Une longue promenade à pied.

Et elle marchait à travers les rues de Tokyo-3, à l'ombre des immeubles gigantesques, incapable d'échapper aux regrets qui la rongeaient.

La curiosité pouvait s'avérer mortelle.

Il ne fallait pas qu'elle l'oublie.

Elle s'apprêtait à se résigner, à rentrer chez elle et à oublier toute cette affaire, même si cela signifiait ne jamais savoir ce que voulait cacher la NERV, quand deux écolières passèrent à côte d'elle. Peut-être que c'était lié à la chance, au destin, ou juste son instinct de journaliste, mais Megumi entendit leur conversation.

"Je n'arrive toujours pas à croire qu'il pilote un de ces robots géants."

"Moi aussi, j'ai du mal à y croire."

"Il est bizarre, tu ne trouves pas?"

"Non, juste calme."

"Et pas aussi bizarre que l'autre pilote."

Pilote? Ces écolières connaissaient les pilotes?

Elle se lança à leur poursuite, tout en leur faisant signe de la main.

"Excusez-moi! Les filles? Bonjour, je suis Megumi Kunzama, journaliste du Japan Today. J'aimerais vous poser quelques questions...."

Au même instant, une minuscule camera cachée dans un feu de circulation fit un zoom sur elle.

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"Qui est-ce?"

"Megumi Kunzama", répondit Fuyutsuki. "Journaliste au Japan Today. Elle était à la conférence de presse de ce matin."

"Hmmm." Gendo fixait l'image de la femme sur l'écran avec une expression neutre.

"Mettez la sous surveillance. Je doute qu'elle découvre quelque chose de sensible mais il vaut mieux être prudent."

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Makoto était ivre. Mais il n'était pas au travail, alors cela n'était pas grave. Il pouvait se soûler autant qu'il voulait et même s'évanouir. Ou encore raconter sa vie amoureuse à quelqu'un qu'il venait juste de rencontrer. C'était justement ce qu'il était en train de faire.

Son confesseur était une des plus belles femmes qu'il ait jamais rencontré. Elle était grande avec des cheveux blonds et une paire de seins qui était forcement le résultat d'implants, d'une intervention chirurgicale, de la magie ou de la bénédiction des dieux. Ils étaient beaucoup trop gros pour une femme aussi mince, et beaucoup trop parfait. Makoto était déjà trop ivre pour le remarquer ou même s'en inquiéter, même si sa principale activité était de les fixer intensément du regard. La femme se contentait de le regarder avec de magnifiques yeux bleus et de lui sourire tout en buvant elle aussi de la bière.

Ils étaient tous les deux assis à une table de la "Brasserie de Tokyo-3", l'un des meilleurs bars de la ville. Le nom n'était pas très original, mais la décoration incluait des panneaux indicateurs du premier Tokyo. Ces derniers avaient fait s'égarer à l'intérieur même du bar plus d'un client quand ces malheureux avait tenté de rentrer chez eux complètement soûls.

"Je l'aime, je l'aime... mais je ne sais pas quoi faire. Elle est vraiment belle, mais c'est mon patron et ça provoquerait sûrement des problèmes... et je pense qu'elle en aime un autre mais elle a vraiment de belles fesses et quand elle n'est pas au travail, elle s'habille d'une façon qui rendrait n'importe quel homme complètement fou", marmonna Makoto avant de vider une autre bière. Une pensée lui traversa l'esprit. "C'est quoi déjà ton nom?"

"Akane, Akane Toshiba", lui répondit-elle. "Et quel est le nom de la femme dont tu es amoureux?"

"Misato. Misato Kusanagi. Kobachi. Katsuniki. Katsugari? Katsucon. Kitsuragi. Katsuragi? Enfin il y a un K quelque part... Et elle a une si grosse paire de..."

Akane se mit à rire. "Je suppose que tu es beaucoup moins direct quand tu n'es pas ivre."

Il confirma. "Je suis un vrai trouillard. Mais c'est vraiment un bonne patronne et un bon commandant. Quand on voit avec qui elle doit travailler...."

Akane se pencha en avant, dévoilant un peu plus son décolleté. Makoto n'en perdit pas une miette. "Tu n'aimes pas certains de tes collègues? Je sais à quel point cela peut être ennuyeux."

"Le destin du monde est entre les mains de deux gamins. La première est effrayante et l'autre est, comment dire.... pathétique. Son propre père l'ignore complètement. Je me demande pourquoi on laisse des enfants piloter ces trucs. Enfin, je sais plus ou moins, mais..." Il but une autre gorgée. "Hé, barman! Une autre bière!"

"Alors, pourquoi font-ils piloter des enfants?"

Makoto regarda tout autour de lui, sous sa chaise puis dans son verre pour débusquer d'hypothétiques espions. "Il faut posséder les bons gènes... Je dois juste surveiller des données, c'est le Dr Akagi qui sait comment tout ça fonctionne. Mais je peux te dire que les trois pilotes ont le même âge."

Elle l'interrompit. "Tu avais dit qu'ils étaient deux."

"Je n'ai jamais rencontré la troisième. Elle est dans un autre pays." Il regarda en direction du barman. "Hé! De la BIERE!"

Il but une gorgée de sa bière et se mit à chanceler. "Hmm. Il est temps de rentrer à la maison, mais je ne crois pas que j'en serais capable."

Akane sourit. "Laisse moi t'aider."

Elle s'était toujours trouvée forte physiquement, mais elle se mit à en douter après avoir aidé Makoto à sortir du bar. Et elle se demanda combien de pintes de bière il avait ingurgité.

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La forêt qui entourait Tokyo-3 était normalement inhabitée. Cependant, une maison s'y dressait encore. Elle avait servi de résidence d'été à une époque de plus grande liberté et de prospérité et, après la mort de son propriétaire durant le Second Impact, le gouvernement s'était approprié le terrain. Cependant, il n'avait pas jugé nécessaire de détruire le bâtiment et les divers projets pour l'utiliser avaient rapidement été oubliés.

Et aujourd'hui, la maison était de nouveau habitée. De minuscules messagers entraient et sortaient constamment du bâtiment. Si quelqu'un avait observait la scène, il se serait demandé comment des rats avaient bien pu refaire fonctionner l'eau et l'électricité. Et aussi comment ils faisaient pour ne pas mourir de faim dans une maison abandonnée, à moins qu'ils aient décidé de manger le papier peint et la peinture.

Si quelqu'un avait observé la scène depuis le ciel, il aurait observé un nombre anormal de balais devant la porte d'entrée de la maison, ainsi qu'une Toyota Corolla déglinguée qui était probablement la plus vieille voiture encore en état de marche au Japon à n'avoir aucune valeur pour un collectionneur, un van noir et une Shinohara Motors SUV-5 que son propriétaire trouvait formidable mais qui était loin de l'être. Ou peut-être que cet observateur volant se serait concentré sur les empreintes de roues laissées dans la boue et qu'il aurait conclu qu'une quatrième voiture avait quitté la maison en roulant à très grande vitesse. Et un observateur disposant d'une très bonne vue et d'un bon réseau d'information aurait même été capable de découvrir la marque de la voiture manquante...

En réalité, un observateur de ce type passait actuellement au-dessus de la maison. Si le Second Impact avait été destructeur sur Terre, il n'avait détruit aucun satellite espion. Cependant les satellites espions ont trois défauts. Premièrement, ils n'entendent rien. Deuxièmement, ils ne sont pas très efficaces s'il n'y a personne pour observer et analyser les images qu'ils transmettent. Et le satellite en question appartenait à la France, qui n'avait que très peu d'intérêt pour une maison perdue dans la forêt japonaise. En fait, il se dirigeait vers un autre endroit du globe à cause du troisième défaut des satellites : ils doivent rester en mouvement ou faire une chute mortelle dans l'atmosphère.

Personne ne vit donc la femme aux cheveux oranges qui attendait l'arrivée d'un rat. Dès qu'elle le vit ce rat, elle se précipita vers lui, le prit dans ses bras et le conduisit à l'intérieur de la maison tout en le cajolant. Elle ne semblait pas être une menace pour l'humanité, mais ce genre d'individu est en générale d'apparence très banale.

Et la femme ne faisait pas exception à la règle.

Tout marchant vers la maison, elle parlait au rat et l'animal lui répondait. La plus grande vague de dévastation causée par un rat depuis la Peste Noire allait bientôt commencer.

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"I want to rule the world." Un des élèves lisait son livre d'anglais et toute la classe répétait en choeur. "I want to rule the world." C'était le cours d'anglais et Shinji était en transe, tout comme la plupart de ses camarades, à cause de l'ennui sans fin qui caractérisait ce cours. Il n'avait jamais compris comment ils étaient sensés apprendre quoi que ce soit avec la méthode qu'ils utilisaient durant le cours d'anglais. Ils ne faisaient que réciter des phrases à l'unisson.

Un autre élève lut la ligne suivante du texte. "The small mouse raised his fists and shook them." Tout le monde répéta la phrase.

Shinji pensait aux tests de la veille. Le Dr Akagi avait recherché quelque chose durant toute la durée des tests, mais il ne savait pas quoi. Et il ne savait pas non plus si elle avait été contente de ne pas trouver ce qu'elle cherchait. Elle avait semblé attendre que quelque chose se produise durant les tests, mais rien d'inhabituel n'était survenu.

Il posa son regard sur Rei qui suivait le cours avec attention. En fait, elle devait bien être la seule élève à le suivre attentivement. On aurait presque pu croire qu'elle était le cerveau de la classe, même si Shinji savait que les meilleurs élèves étaient comme lui en train de somnoler.

Un seul autre élève semblait réveillé. C'était Touji, qui était assis juste derrière Shinji et donnait l'impression que le ciel allait lui tomber sur la tête. Shinji regarda sur le bureau du garçon et comprit rapidement la raison de son agitation. Les élèves devaient en théorie traduire tout un texte en anglais comme travail pour le lendemain, afin de pouvoir en lire une phrase chacun.

Cependant, ce n'était pas du tout le cas en pratique parce que le professeur appelait toujours les élevés dans le même ordre. La plupart d'entre eux se contentaient donc de traduire uniquement la phrase qu'ils étaient censés lire le lendemain.

Mais deux personnes étaient absentes aujourd'hui, ce qui décalait complètement l'ordre de traduction. Cela voulait dire que Touji n'avait pas traduit la bonne phrase, ce qu'il tentait maintenant désespérément de faire sans se faire remarquer par le professeur. Et il n'avait pas l'air de traduire suffisamment vite pour éviter les ennuis.

Shinji avait traduit tout le texte. Non pas parce qu'il l'avait voulu, mais parce que Misato l'avait surpris en train de ne traduire qu'une phrase et l'avait obligé à tout faire. Shinji restait pourtant persuadé que Misato avait fait la même chose quand elle était à l'école. Touji regarda sur le bureau de Shinji et constata qu'il avait une traduction complète du texte. Le garçon sembla hésiter pendant un instant puis se mit à supplier Shinji du regard.

La première réaction de Shinji fut de laisser Touji se débrouiller seul, mais le garçon avait l'air tellement désespéré qu'il finit par avoir pitié de lui. Il réfléchit rapidement pendant qu'un de ses camarades lisait "But where will we find any rubber pants at this hour?" Il écrivit rapidement la phrase correcte sur un morceau de papier et passa la note à Touji sans se faire remarquer par le professeur. Celui ci ne vit rien car il était trop occupé à réprimander un élève qui venait de se tromper de phrase. L'élève avait apparemment fait comme Touji mais ne s'était pas rendu compte des absents.

A l'heure du déjeuner, Touji s'approcha de Shinji. "Je te remercie. Umino-sensei était de très mauvaise humeur aujourd'hui. Je crois que toi, Rei et moi nous avons été les seuls à lui donner une traduction correcte. Avec Hikari "

Shinji fut stupéfié. Il avait fait à Touji une faveur, mais il ne s'attendait pas à ce qu'il devienne si amical. Particulièrement à cause de...

"A propos de ta soeur..."

"Hein?" Touji parut surpris. "Oh, et bien, je t'ai déjà frappé plusieurs fois. On est quitte, non?"

C'était un raisonnement vraiment tordu mais Shinji accepta la trêve en hochant la tête.

"Hé, est-ce tu as fait les maths?" demanda Touji.

"Oui, mais je n'ai toujours pas tout compris."

"Tu n'as pas compris et tu as réussi à les faire?"

"Rei m'a aidé à les finir. Elle est venue dans mon appartement, il y a quelques jours. C'était effrayant."

"Elle t'a aidé à faire tes maths et tu as trouvé ça effrayant?" Touji savait par expérience que Rei pouvait être intimidante, mais la seule chose qu'il trouvait effrayante avec les maths, c'était les notes qu'il avait aux interrogations.

"C'était comme si..." Shinji essaya de trouver une métaphore mais échoua. "Rei disait qu'elle avait besoin d'aide mais elle m'a plus aidé que je ne l'ai aidée elle. C'était comme si elle ne savait pas pourquoi elle était venue me demander de l'aide."

Shinji ouvrit son bento et faillit s'évanouir. Misato avait insisté pour lui préparer son déjeuner et il s'était attendu à avoir de la nourriture instantanée. Mais il trouva à la place un sandwich, un paquet de chips et, c'était impossible, une pomme. Shinji était abasourdi. Elle lui avait fait un sandwich au lieu de lui mettre une de ses innombrables boites de ramen dans la boite. Shinji n'avait plus vu de pain frais depuis qu'il vivait chez Misato. Et elle avait aussi mis un fruit frais, alors qu'il aurait juré qu'il n'y avait pas de nourriture qui ne sorte d'une canette ou d'une conserve dans tout l'appartement. C'était un véritable choc et il se demanda un court instant si Misato n'avait pas volé toute cette nourriture. Non, c'était peu probable.

Touji regarda Rei qui mangeait seule dans son coin. "Peut être qu'elle t'aime."

Shinji subit un nouveau choc. "Tu veux rire."

"Les femmes trouvent toujours les excuses les plus folles pour passer du temps avec celui qu'elles aiment." Touji commença à manger son repas qui était composé de divers légumes et de riz. "Je... Hé, qui c'est celle là?" Il parlait d'une adulte très bien habillée qui discutait activement avec deux de leurs camarades.

Elle était petite, brune, les cheveux courts avec une mèche rousse au-dessus de l'oreille gauche. Son teint semblait trop parfait par rapport à celui de jeunes gens qui commençaient à peine à découvrir les "plaisirs" de l'acné, et Shinji supposait qu'elle avait à peu près l'âge de Misato. Elle portait une tenue noire avec une cravate rouge et utilisait un ordinateur de poche pour prendre des notes.

Shinji n'était pas sûr du nom des deux camarades avec qui elle parlait, mais il pensait que c'était Taiki et Youta. La femme lui paraissait moins familière. Il l'avait vue à la télévision ou peut-être dans un journal, à moins qu'il l'ait juste croisée dans la rue. "Je ne sais pas. Elle ressemble à un professeur ou à une femme d'affaires."

"Pourquoi parle-t-elle à Taiki, alors?"

Taiki pointa son doigt dans la direction de Shinji et la femme se retourna pour pouvoir le regarder. Shinji lui sourit nerveusement car la femme avait un regard qui le mettait mal à l'aise. C'était celui du prédateur fonçant sur sa proie. Elle marcha droit vers lui et dit "Je m'appelle Megumi Kunzama. Je travaille pour Japan Today. Cela te gêne si je te pose des questions?"

"Vous êtes journaliste?" demanda Touji.

"Oui", lui répondit-elle.

"Heu...non...pas du tout", dit Shinji. Il avait l'impression que lui parler n'était pas une très bonne idée.

"Donc si j'ai compris, tu es le troisième pilote d'Eva?"

"Oui", répondit Shinji. "La seconde est dans un autre pays, je crois."

"Et quelle sorte de formation as-tu reçu?"

Shinji regarda en direction de Rei qui était toujours en train de manger et ne semblait pas avoir vue la femme. "J'ai été entraîné intensivement depuis mon arrivée. Entraînements au combat, tests de synchronisation, exercices de tir, ce genre de trucs."

"As tu vraiment combattu dès le jour de ton arrivée?"

Shinji confirma. "Je suis arrivé seulement quelques heures avant l'attaque de l'Ange."

"C'était terrible", ajouta Touji. "Mon appartement a été envahi par les araignées et on a dû en sortir. C'est pourquoi on était dehors quand..." Il se tut et baissa les yeux vers le sol. Shinji avait parfaitement compris ce qu'avait voulu dire Touji: c'était comme ça que sa soeur avait été blessée.

'Je ne voulais blesser personne', pensa Shinji. "C'était un combat difficile mais on l'a battu."

"Alors ils t'ont envoyé au combat sans entraînement?" demanda Megumi. La question semblait parfaitement anodine, mais Shinji comprit parfaitement ce que voulait insinuer la journaliste.

"Ils n'avaient pas le choix. Rei était blessée et j'étais le seul qui pouvait piloter."

"Pourquoi donc?" demanda-t-elle. Elle le regardait fixement et il se sentait intimidé.

"Umm...parce que..." Shinji n'en avait aucune idée. "Seules certaines personnes peuvent piloter une Eva."

"Et le fait que le commandant est ton père n'a rien à voir dans tout ça? Ce n'est pas un cas de népotisme?"

"Mon père se fichait complètement de savoir si j'étais encore en vie avant ce jour là", répondit Shinji en détournant son regard vers un arbre. Sa voix s'affaiblit. "Je ne voulais pas le faire, mais ils avaient besoin de moi et..." Cela avait été excitant. Il avait aimé ça. A un tel point qu'il en avait peur.

"Et qu'est-ce que tu penses de l'autre pilote, Rei Ayanami?"

"Elle est vraiment bizarre", dit Touji.

"C'est un bon pilote", répondit Shinji. "J'espère que l'autre est aussi bonne pilote qu'elle."

"Est-ce que la rumeur selon laquelle vous sortez ensemble est vraie?" demanda Megumi en adoucissant sa voix.

Shinji rougit. "Je ne sors avec personne."

"Cela suffit", dit Rei, interrompant brusquement la conversation. Elle s'était rapprochée pendant qu'ils étaient en train de parler, traversant facilement la foule qui s'était formée autour de Shinji et la journaliste. Elle plongeait son regard dans celui de Megumi qui semblait figée sur place. "Vous n'êtes pas supposé vous trouver ici." Sa voix resta monocorde mais la menace était explicite.

"Mais je voulais juste poser quelq..."

"Demandez à Ibuki-san", ajouta Rei. Elle passa son bras sous celui de Shinji et le força à s'éloigner de la journaliste.

Touji haussa les épaules. "Certaines personnes n'admettent jamais ce qu'elles ressentent."

Megumi les regarda s'éloigner sans rien dire.

_*_

Makoto aurait dû être au travail.

Et il aurait aussi dû avoir une des pires gueules de bois de toute sa vie.

Mais ce n'était absolument pas le cas.

Quand il réussit à se réveiller complètement, il découvrit qu'il n'était pas dans son appartement. A moins que, beaucoup plus saoul que d'habitude, il ait acheté et posé lui-même le papier peint rose avec des fleurs, accroché de nouveaux rideaux blancs, peint le tapis en bleu et jeté tous ses meubles et ses vêtements pour les remplacer durant la nuit. Mais même la fois où il avait été si saoul qu'il avait cru que l'aspirateur le poursuivait pour le mordre, il n'avait pas fait quelque chose d'aussi terrible.

D'habitude, il ne buvait pas autant. Mais la veille, il avait surpris une conversation entre Misato et le Dr Akagi à propos d'un ancien petit ami du capitaine, un type nommé Kaji, et Makoto s'était mis à déprimer. Il avait décidé de noyer son chagrin dans l'alcool.

Et maintenant, il était réveillé et se sentait plus en forme que jamais, mais il ne savait absolument pas où il était. Il se souvenait d'une femme... une blonde qui avait écouté patiemment quand il lui avait raconté ses déboires sentimentaux. Peut-être avait-elle été assez aimable pour l'héberger cette nuit.

Elle rentra alors dans la chambre, habillée d'un short en jean et d'un T-shirt des Kyoto Mariners. Makoto avait toujours trouvé étrange qu'une ville sans littoral comme Kyoto ait une équipe de base-ball nommé les "Marins". Mais après la destruction de la ville de Seattle durant le Second Impact, l'équipe américaine avait déménagé au Japon. Ce n'était pas vraiment étonnant quand on savait que l'équipe appartenait depuis longtemps à des investisseurs japonais.

"Bonjour, Makoto. Je commençais à croire que tu resterais couché toute la journée", lui dit-elle. Son nom était... Akane. Oui, c'était ça.

"Akane?"

Elle s'avança et s'assit sur le lit. "Oui. Dis-moi, qu'est-ce que tu te rappelles de la nuit dernière?"

"Hmmm. J'ai bu. Discuté avec toi. Essayé de rentrer chez moi... et c'est tout."

Elle se plaça un peu plus près de lui. "Alors, tu as oublié tout le reste?" Elle avait l'air déçue.

"Le reste de quoi?" Il ne s'était retrouvé aussi près d'une femme depuis l'université. Il avait eu plusieurs petites amies à l'époque, mais depuis qu'il travaillait à la NERV sa vie amoureuse était passée à la trappe, surtout depuis qu'il était tombé amoureux de Misato.

Elle s'approcha encore et lui saisit la main. Il sentit la douceur de sa peau et la dureté de la bague en argent qu'elle portait. C'était bizarre, la bague était chaude. Le métal n'absorbait pas la chaleur corporelle aussi facilement et la bague aurait dû être froide. "Je suppose..." Elle sourit. "Que je vais devoir te le rappeler. Je suis sûre que tu seras plus en forme une fois sobre."

A dire vrai, il se sentait extraordinairement sobre. "Tu veux dire que..."

Il fut incapable de finir sa phrase. En fait, il se retrouva rapidement dans une position où il lui fut impossible de penser à autre chose que le corps d'Akane. Et le fait qu'il aurait dû être au travail lui sortit complètement de l'esprit.

_*_

"Donc une journaliste est venue et t'a posé des questions?" demanda Maya.

Shinji hocha la tête. Rei et lui étaient dans le bureau de Maya. La salle était remplie de dossiers empilés les uns sur les autres et des feuilles remplies de codes informatiques étaient collées sur les murs. Mis à part le terminal relié au super ordinateur Magi, c'était un véritable capharnaüm. Et un capharnaüm poussiéreux. Il paraissait évident que Maya travaillait autre part maintenant. "Elle pensait que mon père m'a choisi parce que je suis son fils. Et elle voulait savoir...Je veux dire... Et je ne savais pas."

"Savoir quoi?"

"Pourquoi j'ai été choisi? Pourquoi les autres? Et pourquoi nous sommes tous si jeunes?"

"Je crois que c'est lié au fait que vous êtes tous nés après le Second Impact. Vous savez qu'il y a eu un grand nombre de fausses couches et de déformations à la naissance depuis cette époque, non?"

Shinji hocha de nouveau la tête. "J'allais à l'école avec un garçon qui n'avait que quatre doigts à la main gauche. Pas de majeur." Il frissonna légèrement.

"En fait, il y a eu beaucoup de radiations libérées sous forme de particules radioactives dans la couche supérieure de l'atmosphère. Elle est lentement retombée sur terre sous forme de pluie depuis. C'est pire au Pôle Sud mais heureusement personne n'y vit. C'est pour cette raison que l'on a dû évacuer tous les pingouins. Mais, ces radiations ont causé des mutations, et la plupart de ces mutations sont nocives, elles tuent les enfants ou causes des malformations. Mais un petit nombres de personnes développent des mutations bénéfiques. Par exemple, est-ce que vous connaissez Hinako Kotobuyki, l'idole de la chanson?"

"Oui", répondit Rei.

Shinji fut extrêmement surpris par cette révélation. "Oui. C'est... une mutante? Elle n'est pas trop vieille?"

"Elle doit avoir ton âge mais à l'air d'avoir vingt ans. C'est une mauvaise mutation parce qu'elle vivra moins longtemps, mais elle a aussi une voix parfaite pour chanter grâce à sa mutation. Enfin, on ne peut pas le prouver mais c'est vraisemblable." Maya se mit à frapper en rythme sur sa tasse de café avec un crayon. "Et chacun des Children possède une mutation spéciale qui accroît grandement ses aptitudes à piloter une Eva. Tout le monde pourrait essayer mais pour la plupart ils ne réussiraient pas à se synchroniser ou ils ne supporteraient pas l'expérience. Vous devriez demander au Dr Akagi pour plus de détails, je ne suis qu'une experte en informatique. Mais pour résumer, les plus vieux pilotes que nous trouveront auront votre âge. Il y a probablement un enfant de cinq ans quelque part qui ferait un excellent pilote d'Eva mais nous avons besoin des individus les plus âgés."

"Donc je... ne suis pas humain?" demanda Shinji nerveusement.

"J'ai dit que vous aviez subi une mutation. Mais beaucoup de personnes ont une mutation. Vous êtes aussi humains que moi. Nous ne sommes pas dans une bande dessinée où être un mutant signifie que tu tires des lasers avec tes yeux et où tout le monde de craint et te hait. Un grand nombre de personnes célèbres ont de minuscules mutations qui leur donnent un léger avantage dans ce qu'ils font le mieux. Vous êtes juste spéciaux." Maya souriait à Shinji d'une façon quasiment maternelle. Elle se tourna vers Rei. "Je pensais que tu étais au courant."

"Je n'ai jamais demandé", répondit Rei.

"Et bien, je demanderai au Dr Akagi de vous donner un exposé sur ce sujet. Je suis sûre qu'elle en a un sur ce sujet. Hmm. Et je vais appeler la journaliste et lui demander de vous laisser tranquilles. L'école, c'est pour apprendre, pas pour vous faire interviewer."

"Merci", dit Shinji. "La journaliste semblait être quelqu'un de bien, mais-"

Un rat traversa le bureau. Maya lui jeta un classeur à dossiers dessus pour l'écraser, mais l'animal se précipita entre les jambes de Shinji et s'enfuit. Le classeur toucha Shinji qui perdit l'équilibre et entraîna Rei dans sa chute. Ils se retrouvèrent allongés sur le sol face contre face. Rei regardait calmement Shinji comme si la situation était normale. Shinji commença à rougir et devint écarlate quand une voix familière résonna dans la pièce.

"Tu ne pouvais pas attendre d'être dans un lieu plus intime, Shinji-kun?" demanda Misato d'une voix qui trahissait son amusement.

Shinji se releva précipitamment et se cogna contre un mur. Toute une pile de dossiers lui tomba dessus. "C'était un accident!"

Rei se releva plus calmement et retira la poussière de ses vêtements. "C'était encore un rat, Katsuragi-san."

"J'espère que ça ne veut pas dire qu'un rat géant va nous attaquer", répondit-elle. "Quelqu'un a vu Makoto?"

"Il a téléphoné vers neuf heure pour prévenir qu'il était malade", expliqua Maya. "Je suis sure qu'Akagi-sempai a enregistré son absence sur le réseau informatique."

"Ce n'est pas grave, je voulais juste lui poser quelques questions sur les tests d'hier." Elle haussa les épaules. "Et bien, si vous avez tous fini de vous vautrer dans la luxure, il est temps de passer d'autres tests."

"Que quelqu'un vienne m'aider", murmura Shinji piégé sous une montagne de dossiers.

_*_

Le cuirassé allemand Frederick le Grand traversait l'Atlantique en direction du détroit de Panama. Depuis que la nation du Panama avait été détruite par la montée des eaux, le canal était devenu un océan.

Des nations comme le Bangladesh et les plus petites îles des Caraïbes avait été complètement balayées de la surface de la planète. Mais la destruction du Panama avait permis l'essor du transport maritime en abolissant complètement les taxes pour le passage dans le canal. La région avait été une des premières à être placée sous le contrôle de l'ONU durant les années de crise qui avaient suivi le Second Impact.

Asuka se tenait debout à la proue du navire et regardait les vagues qui se formaient de chaque coté du navire. Elle pouvait encore apercevoir la côte à l'horizon, bien que ce ne soit plus qu'une tache insignifiante de marron et de vert noyée dans le bleu du ciel et de la mer. Elle était impatiente d'arriver au Japon. Ca ne serait pas comme en Allemagne, sa patrie, mais elle était prête à se battre et il n'y avait personne à affronter dans son pays. Enfin personne à affronter avec son Eva. Elle était cependant un peu inquiète. Qu'est ce qui se passerait si la prochaine attaque avait lieu en Allemagne? La base serait détruite avant même qu'elle soit de retour.

Ils lui avaient donné un dossier sur les deux autres pilotes mais il ne contenait pas beaucoup d'informations. Le seul point intéressant était qu'ils jouaient aussi d'un instrument de musique. Il suffisait qu'ils trouvent un autre musicien et ils formeraient un quatuor d'instrument à cordes. Quant à savoir l'effet que leur musique aurait sur les monstres...

Le dossier ne lui disait rien de ce qu'elle avait vraiment envie de savoir. Est-ce qu'ils savaient se battre? Est-ce qu'ils l'aimeraient? Est-ce qu'ils s'entendaient bien ou est-ce qu'elle devrait les forcer à travailler ensemble? Elle avait l'habitude de faire ça, ses "patrons" allemands se querellaient tout le temps.

"Tu essaies de faire avancer le bateau plus vite, Asuka?"

"Oui, mais ça ne fonctionne pas", dit-elle en se retournant pour sourire à Kaji. Elle était sûre qu'il était l'homme de sa vie. Bien sûr, il avait près de deux fois son âge mais elle restait persuadée que rien ne pouvait s'opposer au grand amour. Il la considérait aujourd'hui comme une enfant mais quand il l'aurait vu combattre, il serait incapable de lui résister.

Kaji ressemblait à un homme d'affaire qui aurait perdu sa cravate et sa veste. Il avait une barbe de deux jours et les cheveux ébouriffés. Mais ça lui donnait un charme qui avait séduit facilement une jeune fille de quatorze ans. "Je suis sûr que nous arriverons avant la prochaine attaque."

"C'est juste que... Est-ce qu'ils sont certains qu'il n'y aura pas d'attaque en Allemagne?"

"Pas d'attaques que tu ne puisses arrêter toute seule. Nous devons regrouper nos forces si nous ne voulons pas voir les Evas se faire détruire les unes après les autres."

"Mais un Ange pourrait attaquer Berlin et tout détruire avant même que nous revenions. Parce que les Evas sont trop grandes pour être transportées par avion, et que même en avion le voyage prendrait trop de temps et...."

Kaji s'approcha et posa une main sur son épaule. "Ne t'inquiète pas pour ça."

"Est-ce que tu crois que je pourrai trouver de bons bratwurst au Japon?"

"Je ne compterais pas trop là-dessus si j'étais toi."

Asuka fronça les sourcils. "Ach. Verdammt."

_*_

Kensuke observait le terrain d'athlétisme où Rei faisait du sport avec les autres filles. Il ne savait pas si les filles le faisaient inconsciemment ou non, mais elles semblaient se tenir à distance de Rei et s'écarter d'elle comme des poissons face à un requin.

"Tu penses qu'elle aime Shinji?" demanda-t-il à Touji.

"Pourquoi? Tu es jaloux?"

"Hein!"

"Je croyais que tu aimais bien Rei, tu sais? C'est un pilote et tu es obsédé par les trucs de ce genre."

"Oh! Je l'admets, mais j'ai tout de même des limites."

Ils regardèrent Rei courir. Elle était rapide, beaucoup plus rapide que les autres filles, même celles plus grandes qu'elle. Et elle n'avait pas l'air de faire beaucoup d'efforts. Ils avaient l'impression qu'elle pouvait facilement distancer les autres filles si elle le désirait vraiment.

"Donc, elle serait amoureuse de Shinji?" demanda Touji.

"Je me demande si elle s'aime elle-même", répondit Kensuke. "Peut-être que si quelqu'un à la NERV lui ordonnait de l'aimer, elle le ferait. Je suppose que ça fait d'elle le pilote d'Eva parfait." Kensuke retira ses lunettes et entreprit d'en retirer la poussière avec son t-shirt.

"Qu'est-ce que ça à voir avec le fait qu'elle aime Shinji?" demanda Touji.

"Tu n'as jamais remarqué qu'elle restait tout le temps immobile sauf quand le professeur lui dit de faire quelque chose? C'est comme si... Je suis sûr qu'elle n'a jamais désobéi à un ordre", dit Kensuke. "Si j'étais son patron, j'aurais vraiment peur de lui donner des ordres."

"Tu penses qu'elle..." Touji semblait préoccupé, ce qui était rare.

"Coucherait avec toi si tu lui en donnais l'ordre?"

"Je suppose qu'elle est toujours vierge."

"On a seulement quatorze ans. J'aimerais bien ne plus l'être, mais... Et qui pourrait le faire? Avec elle?"

"Faire quoi avec qui?" demanda Shinji. Il venait juste de lancer son javelot. A sa grande surprise, alors que la plupart des autres élèves lançaient leur javelot plus loin, il semblait capable de le lancer avec beaucoup plus de précision que les autres. Dommage que la précision n'ait aucune importance dans cette discipline. Il manquait de force mais ça, il le savait avant même de lancer le javelot.

"Dis-moi, est-ce que tu couches avec Rei?" demanda brutalement Kensuke.

Shinji ouvrit grand les yeux. "Qui t'a dit quelque chose d'aussi débile?"

"Je ne fais que vérifier. Miss Zombie semble ne revenir à la vie que pour intervenir quand tu es en danger."

Shinji se rappela brièvement avoir été sauvé par Rei du piège du premier Ange, puis de Touji et enfin de l'interview de la journaliste. "Nous sommes partenaires. Elle... Je ferais la même chose pour elle", répondit-il. 'Je crois que c'est ce je suis sensé faire. Mais, il est plus probable que je m'enfuirais pour me cacher', pensa-t-il.

"Je crois qu'elle t'aime, mec", lui dit Touji. "Crois-moi. Je suis capable de regarder les gens et de savoir qui ils aiment. Et s'il y a bien quelqu'un sur Terre qu'elle fasse plus que tolérer, c'est bien toi."

"Elle aime mon père", marmonna Shinji.

Touji bondit sur ses deux jambes pour regarder Shinji droit dans les yeux. "Quoi? Elle et ton père sont-"

Shinji se mit à agiter ses mains dans tous les sens. "Non! Je veux dire qu'elle l'aime. Comme un père. Pas un..." Il rougit et se mit à prier pour que ce malentendu ne se transforme pas en mauvaise rumeur.

"Elle nous regarde", dit Kensuke. Les deux autres garçons tournèrent la tête, et virent Rei qui regardait effectivement dans leur direction. Ils étaient trop loin pour dire exactement qui elle fixait du regard, mais Kensuke et Touji étaient persuadés de le savoir.

Puis l'entraîneur attrapa Kensuke et lui dit de relancer un javelot, et ils furent tous bientôt trop occupés pour continuer cette discussion.

_*_

Makoto réussit à reprendre son souffle au milieu de l'après-midi. Il était épuisé et semblait à peine y croire. Akane semblait prête pour un autre round mais Makoto était si fatigué qu'il avait du mal à respirer. Il réussit finalement à parler. "Waooo."

Elle se mit à rire. "Cela faisait longtemps pour moi. Alors, dis-moi, tu travailles vraiment à la NERV?"

Il hocha la tête. "Je travaille dans la salle de contrôle. Je ne suis pas autorisé à en parler. C'est tellement confidentiel que parfois je me demande si j'ai le droit d'y penser une fois sorti de la base." Son corps s'enfonça dans le matelas quand Akane s'allongea tout contre lui et posa sa tête contre sa poitrine.

"Mais est-ce que tu as rencontré les pilotes?" lui demanda-t-elle. "Je vais être jalouse, si c'est le cas."

"C'est le cas. Rei est à la NERV depuis beaucoup plus longtemps que moi, presque plus longtemps que la majorité des gens qui y travaillent. Si j'ai bien compris, c'est le Commandant Ikari qui l'a élevée. Et son fils, Shinji, vient juste d'arriver. C'est un gentil garçon, mais je ne l'ai pas beaucoup vu. Il vit avec le Capitaine Katsuragi."

Akane soupira. "Ca doit être terrible de voir qu'un nouveau venu apparaît et séduit en un éclair la femme que tu aimes."

Makoto se mit à rire. "Il a seulement quatorze ans. Elle le traite comme son propre fils. En fait, j'ai l'impression qu'elle s'inquiète beaucoup plus du bien être de Shinji que son père. Et s'ils deviennent un jour amants..." Il rit encore plus fort. "Si quelqu'un réussit à la séduire, ce ne sera pas Shinji."

"Alors, il n'y a que deux pilotes? Contre tous ces Anges?"

"Il y en a un troisième mais je ne l'ai jamais vu. Elle n'arrivera pas au Japon avant plusieurs jours. Enfin, je crois. Mais dis-moi, comment gagnes-tu ta vie?"

"Je suis romancière", répondit-elle. "J'écris des romans d'amour." Elle caressa avec un doigt le torse de Makoto. "Et je suis justement en train de faire des recherches." Elle l'embrassa sur la joue en riant. "Je parie que je peux écrire un très bon roman sur ton histoire. Et tu auras droit à une fin heureuse, bien sur."

Il soupira. "J'aimerais vraiment être sûr que la fin sera heureuse."

"Je suis sûre que tu t'en sortiras très bien", lui dit-elle. "Dis-moi, comment sont les deux pilotes?"

"Et bien, si tu veux les utiliser pour ton roman, il va falloir que tu les renommes la Zombie et le Mouton..." Il se mit à lui raconter une longue anecdote à propos du premier jour où il avait rencontré Rei qui l'avait fait rire, ainsi que plusieurs autres histoires. Elle l'écoutait attentivement et lui posait des questions entre chaque histoire. Ils discutèrent ainsi toute l'après-midi.

_*_

"Shinji-kun! J'ai une mission très importante à te confier!"

Shinji leva les yeux de ses devoirs. "Hein? La base a appelé? Un autre Ange attaque?"

"Non. Je n'ai plus de sous-vêtements propres et il faut juste que tu ailles à la blanchisserie." Elle lui montra du doigt un panier à linge sale plein et la liste de répartition des taches ménagères.

"Mais je dois faire mes devoirs."

"Je vais les faire pour toi. Je préfère encore ça au linge sale."

Elle réussit finalement à le convaincre et il se dirigea vers la blanchisserie du quartier alors que le soleil se couchait. Une demi-douzaine de personnes faisaient leur lessive et il n'eut pas de difficulté à trouver une machine. Il avait pris du papier et un crayon avec lui, car s'il pensait que Misato pouvait faire ses mathématiques, il avait quelques doutes pour la poésie. Dès que la machine à laver démarra, il se mit au travail.

Il essayait de trouver un moyen d'utiliser le mot "angoisse" quand il vit Rei rentrer dans la salle. Elle lui jeta un bref coup d'œil et il lui fit signe de la main tout en souriant légèrement. Elle le regarda alors fixement, puis se dirigea vers une machine à laver libre qu'elle remplit rapidement avec son linge sale. Elle saisit son sac d'école et vint s'asseoir à côté de lui pour voir sur quoi il travaillait. "Haïku*?"

"Ouais."

"Je ne suis pas très douée en poésie." Elle regardait Shinji calmement et il lui rendait son regard, ne sachant pas quoi lui répondre.

"Tu veux que je t'aide?"

"Oui."

"Heu, bien sur, je peux essayer. Montre moi ce que tu as déjà fait."

Le haïku de Rei était:

Ligne de cinq syllabes.
Cette ligne fait sept syllabes.
Cinq brins d'herbes verts. *

Shinji regardait le poème, complètement déconcerté. " Hmmm... et bien, la forme est correcte. Et il y a une référence à la nature, mais... "

Deux paires d'yeux les regardaient discuter. La propriétaire de la première paire d'yeux appuyait sans cesse sur le bouton d'un appareil photo dont elle avait enlevé le flash. Le propriétaire de la seconde paire se mit à couiner et partit en courant sur ses quatre pattes.

_*_

Makoto fut surpris de découvrir qu'il s'était de nouveau endormi. Il fut encore plus surpris quand il découvrit qu'il s'était réveillé dans son propre appartement, comme si son aventure avec Akane n'avait jamais eu lieu. A vrai dire, il commençait à douter de l'existence de la jeune femme. D'habitude, il ne couchait pas avec quelqu'un dès le premier soir, même si la seule raison à cette règle était qu'aucune femme n'acceptait de coucher avec lui le premier soir. Et surtout pas quand il leur disait qu'il était déjà amoureux d'une autre.

Il sortit de son lit et alla au téléphone. Il était temps de découvrir s'il avait toujours un travail. Car délire ou pas, il n'était pas allé travailler aujourd'hui.

_*_

Des sifflements et des chants résonnaient sous le ciel étoilé, près de la vieille maison abandonnée dans les bois entourant Tokyo-3. C'était un appel, une invocation qui était déjà ancienne quand les hommes pensaient que frapper deux pierres l'une contre l'autre pour faire un silex était la plus grande invention de tous les temps. Mais à cette époque, apprendre les sifflements du rituel était un défi intellectuel.

Les étoiles brillaient sereinement, continuant lentement leur voyage sans fin à travers un ciel vide de tout nuage. Aldébaran était déjà très basse dans le ciel et Fomalhaut* était encore clairement visible. La forêt, magnifique en cette période de l'année, était plongée dans le silence. Enfin, elle aurait été dans le silence si les cinq personnes qui faisaient un vacarme de tous les diables s'étaient tues. Car trois d'entre eux tentaient sans succès de chanter en harmonie, un autre soufflait dans un sifflet en argent comme si sa vie en dépendait, et le cinquième membre de cette fine équipe tentait de se faire discrètement les ongles tout en tenant maladroitement un livre pour les trois premiers.

Cependant, l'invocation était plus une formalité qu'une véritable nécessité puisque l'appel, bien qu'altéré, avait été entendu. En fait, les créatures invoquées avaient entendu l'appel avant même qu'il ait commencé. Car bien qu'elles soient rapides, ces créatures avaient un très long chemin à parcourir pour arriver à temps et aider ceux qui servaient le même maître qu'eux.

Le bruit de leurs battements d'ailes se fit entendre quand elles descendirent lentement du ciel pour se poser dans la clairière. Ils se débarrassèrent alors du givre spatial qui engourdissait toujours leurs membres et qui auraient tué par simple contact n'importe quel être humain. Mais ces créatures étaient loin d'être aussi fragiles que les être humains.

_*_

"J'ai déjà téléphoné pour prévenir que j'étais malade?" demanda Makoto.

"Vous deviez être vraiment malade si vous ne vous en rappelez même pas", lui répondit une secrétaire de l'équipe de nuit. "Mais le Dr Akagi vous a bien enregistré comme malade. La note dit que vous avez appelé vers neuf heures ce matin."

Makoto secoua la tête, n'arrivant pas à y croire. 'Quelle journée de fou', se dit-il.

_*_

Misato fronçait les sourcils. 'J'aurais peut-être dû aller laver le linge sale moi-même', se dit-elle. Les maths et la poésie n'avaient jamais été ses matières préférées, bien qu'elle se rappelait avoir écrit un haïku sur la bière au lycée. Si elle avait su que Shinji faisait la poésie lui-même, elle se serait sentie soulagée, mais elle aurait toujours été incapable de faire les mathématiques.

Elle continua de griffonner frénétiquement et commença le problème huit. 'Pourquoi lui donnent-ils des devoirs de maths? Les maths, c'est pour les scientifiques, il est seulement... Aha! Je parie que je peux obliger Ritsuko à me donner la solution sans qu'elle s'en rende compte', pensa la jeune femme.

Elle se leva et se dirigea vers le téléphone quand elle aperçut une ombre de la taille d'un homme se déplacer sur le balcon. Etant donné qu'elle n'habitait pas au rez-de-chaussée, elle comprit vite que c'était un mauvais présage et elle courut vers sa chambre. Le bruit de vitre brisée lui confirma qu'elle avait pris une sage décision. Quelques secondes plus tard, le téléphone se mit à sonner. Elle ignora ce détail, saisit son arme et se mit à couvert derrière une armoire.

Le téléphone continuait de sonner mais Misato pouvait entendre qu'ils commençaient à tout démolir dans son appartement. Elle commença à calculer le coût des réparations à chaque fois qu'elle entendait un bruit de casse. Une fenêtre brisée. 5000 yens la vitre. Une télé cassée. 50000 yens. Elle entendit la porte du réfrigérateur s'ouvrir et le bruit de bières renversées sur le sol. Encore plusieurs milliers de yen. Un cri rauque de terreur retentit dans la cuisine. 'Pen-Pen!' pensa-t-elle.

Les bruits de pas dans le couloir se rapprochaient. Pen-Pen cria à nouveau. Et la bière se vidait sur le sol de la cuisine. Elle vérifia son arme et se prépara à tirer. Ils allaient être ralentis par la porte de sa chambre. Elle vit une ombre devant la porte... Une ombre avec des ailes?

La créature entra dans la chambre. Elle était bipède et nue, sa peau caoutchouteuse était noire avec des taches grises et bleues par endroits. Des morceaux de glace étaient collés sur ses ailes et ses membres, et son corps semblait moite. Elle avait deux bras qui se terminaient par trois griffes, et deux jambes recourbées bizarrement avec lesquelles elle se déplaçait maladroitement. Ses ailes de cuir noir étaient repliées en arrière pour lui permettre de passer dans les couloirs de l'appartement.

Misato regardait fixement la créature, complètement choquée. 'Qu'est-ce que c'est que ce monstre?' se demanda-t-elle. Elle ne pouvait plus bouger, paralysée par la peur comme une proie face à son prédateur. La lampe de la chambre éclairait d'un halo jaune la peau noire de la créature et faisait briller ses yeux qui paraissaient étrangement humains. Elle avait un œil de chaque côté de son crâne, ce qui lui donnait un air de rapace déplumé. Deux antennes arquées vers l'arrière de sa tête prenaient racine juste au-dessus des ses yeux et se balançaient à chaque pas.

La créature examina la chambre de Misato et se mit à renifler. Misato essaya de lui tirer dessus mais ses doigts refusèrent de bouger. Elle avait l'impression que son cerveau fonctionnait au ralenti. Le monstre ailé secoua la tête, fit demi-tour, retourna dans le couloir et commença à dévaster la chambre de Shinji ou la salle de bain. Misato était persuadée que c'était la chambre de Shinji.

Pen-Pen poussa de nouveau des cris rauques et Misato se ressaisit. Elle rampa jusqu'à la porte et elle jeta un coup d'œil dans le couloir. Le silence semblait être revenu dans le salon, mais elle pouvait toujours entendre des bruits de pas dans le reste de l'appartement et Pen-Pen continuait de pousser des cris. 'Il doit y avoir au moins deux de ces...choses', se dit-elle. 'Si le prochain ange est une version géante d'une de ces créatures...' Elle se mit à frissonner. 'Bien. Si je ne panique pas cette fois, je devrais être capable de l'abattre. Mais s'ils sont deux....'

'Au moins, Shinji n'est pas là. Je dois m'en sortir et alerter le quartier général. Et trouver Shinji. Même si je dois les laisser saccager la maison...Combien tout ça va me coûter?' se demanda-t-elle.

Pendant qu'elle réfléchissait, une créature passa juste devant d'elle en l'ignorant complètement. Misato fut abasourdie. La créature aurait dû voir son pistolet, à moins qu'elle n'ait pas de vision périphérique. Mais avec un œil sur chaque côté de sa tête, elle devait donc avoir une excellente vision sur les côtés. Elle ne savait peut-être pas ce qu'était un pistolet.

Quand la créature rentra dans le salon, Pen-Pen arrêta de pousser des cris. Misato courut à travers le couloir et leva son arme pour faire feu. Elle se disait qu'il valait mieux les abattre avant qu'elles ne s'enfuient si elles étaient trop stupides pour reconnaître une arme à feu. Mais elle vit qu'il y avait quatre créatures dans le salon. Elle fut de nouveau pétrifié, et les créatures se retournèrent pour la dévisager. Durant ce qui sembla une éternité, ils se regardèrent tous fixement à travers la salle. Puis elles lui tournèrent le dos et sortirent de l'appartement, détruisant complètement dans leur fuite la fenêtre qu'elles avaient déjà endommagée à leur arrivée.

Le salon était complètement détruit. Pen-Pen était inconscient, peut-être mort, allongé sur la table qui avait été renversée. Et les devoirs de Shinji avaient disparu. Misato se rendit compte qu'une des créatures les avait emportés.

'Je parie que son professeur ne va jamais vouloir le croire', pensa Misato.

Le téléphone sonnait toujours. Elle courut et le décrocha. "Allô?"

C'était Ritsuko. "Tu vas bien? Nous avons détecté des formes inhabituelles sur le radar près de ton appartement, celui de Rei, l'hôpital et plusieurs autres endroits. Et maintenant... elles s'éloignent de ton appartement et de celui de Rei."

"Nous sommes attaqués. Lance l'alerte." Elle soupira. "Tu ne va pas me croire."

"Je peux tout croire tant qu'il y a des preuves, Misato."

"Et bien écoute ça. Premièrement ils ont volé les devoirs de Shinji. Deuxièmement, ils n'étaient pas humains. Troisièmement, ils ressemblaient à des.... grands insectes humanoïdes avec des becs et... De toute façon, alerte nos forces terrestres. Et prépare les Evas ; mais elles vont sûrement avoir aussi besoin du soutien des unités aériennes et terrestres, ces créatures peuvent se cacher dans des endroits où les Evas ne peuvent pas aller. Et assure-toi aussi que...."
Préparer la contre-attaque permettait à Misato de se calmer. Et elle en avait vraiment besoin.

_*_

Shinji se disait qu'il ne deviendrait jamais professeur de poésie. "Il faut une référence à la nature parce que c'est le principe même du haïku. C'est comme si tu me demandais pourquoi on n'utilise pas du brocoli à la place du poisson dans un sushi."

Rei secoua la tête. "Justement, je te le demande."

"Quoi?"

"Je suis végétarienne."

Shinji résista à une envie soudaine d'étrangler Rei. "Mais tu comprends ce que je veux dire."

"Oui. Certaines choses ne peuvent pas être remises en question." Elle se mit à reproduire le rythme du haïku sur sa jambe avec son stylo. Cinq coups, sept coups, cinq coups. "Montre-moi ton poème."

"Bien sûr." Il fouilla dans ses affaires et lui tendit une feuille de papier. "Le voilà."

Son haïku était:

Je scrute le ciel,
Aussi vide que ma vie
Et j'attends la pluie.*

Elle étudia le poème. "Que feras-tu quand la pluie se mettra à tomber?"

Shinji parut troublé par cette question. "Quand la...oh! Je ne sais pas. Je ne suis même pas sûr de vouloir qu'il pleuve. C'est juste que... Je ne sais pas pourquoi je vis. Parfois."

"Nous vivons pour piloter les Evas. C'est pourquoi nous avons été créés", répondit Rei.

Avant qu'il n'eut le temps de répondre, la sonnerie de sa machine à laver résonna. Il était temps qu'il mette ses affaires dans le sèche-linge. Rei le suivit sans rien dire et l'aida. Au moment où ils finissaient, quelque chose situé de l'autre côté de la vitrine de la blanchisserie attira l'attention de Shinji. Deux choses ailées et inhumaines. Qui l'observaient Rei et lui. Et qui s'avançaient droit vers la vitrine. Instinctivement, il saisit Rei et se cacha avec elle derrière les deux rangées de sèche-linges.

Quelques secondes plus tard, la vitrine vola en éclats; les deux créatures ne savaient apparemment pas comment utiliser les portes. Les quelques personnes encore présentes dans la blanchisserie se mirent à hurler ou restèrent paralysées de terreur. Une des créatures attrapa un client, l'attira vers lui et décida de le manger. L'autre renifla l'air et se dirigea vers les sèche-linges.

Les hurlements de la victime, le bruit atroce de sa chair et de ses os se faisant dévorer par la créature poussèrent les dernières personnes encore dans la blanchisserie à faire la seule chose de sensée: FUIR. Shinji était terrifié mais Rei restait incroyablement calme. "Nous devons nous enfuir", lui dit-elle.

"Shhh!" répondit Shinji espérant ne pas attirer l'attention de la créature qui s'approchait. Celle-ci se dirigea vers le sèche-linge où étaient les vêtements de Shinji, en ouvrit la porte et mit sa tête à l'intérieur de la machine. Cela donna une idée à Shinji. Tout en saisissant le haut de la dernière machine de la rangée, il fit signe à Rei d'en saisir le bas. Elle obéit même si elle paraissait intriguée. Puis il poussa de toutes ses forces. Rien ne se produisit jusqu'à ce que Rei se relève et décide de l'aider à pousser le haut de la machine. Le sèche-linge bascula, entraînant dans sa chute les quatre autres machines qui composaient la rangée et en particulier la dernière qui se renversa sur la créature. La bête poussa un hurlement terrible.

L'autre monstre interrompit son repas pour regarder son camarade se débattre sous une demi-tonne de métal. Elle jeta le corps désormais sans tête de sa victime et dévisagea Shinji et Rei d'un œil noir.

Shinji fixait l'œil de la créature quand sa vision s'obscurcit et qu'il sentit ses jambes s'affaisser sous son propre poids. Le regard du monstre ailé devait avoir des propriétés hypnotiques, à moins que la peur n'ait eue raison de lui. Il ne sentit jamais son corps heurter le sol.

_*_

Megumi Kunzama était déçue. Elle avait seulement réussi à prendre des photos des pilotes faisant leurs devoirs ensemble. Mais aucun autre journaliste n'avait de cliché aussi intéressant. Et l'histoire d'amour entre les pilotes passionnerait les lecteurs. Elle commençait elle-même à y croire. "Aide-moi à faire mes devoirs" était une technique classique utilisée par un grand nombre d'adolescents amoureux. Et si la moitié des informations sur les pilotes qu'avaient fournies la NERV étaient vraies, alors la fille n'avait absolument pas besoin d'aide pour faire ses devoirs.

Elle rentrait chez elle pour dîner quand elle aperçut deux... formes... voler en direction de la blanchisserie. Megumi se lança à leur poursuite mais les créatures volantes étaient beaucoup plus rapides que la jeune femme. Elles parcoururent la centaine de mètres jusqu'à la blanchisserie en quelques secondes. Megumi ne réussit jamais à les rattraper.

Car une autre ombre venant de la blanchisserie passa à toute vitesse à côté d'elle. Megumi appuya instinctivement sur le bouton de son appareil photo. Elle développa la photo plus tard dans sa chambre d'hôtel et fut stupéfiée par ce qu'elle y vit. La pilote, Rei, courait à toute vitesse en portant le garçon, Shinji, dans ses bras. Les yeux rouges de la jeune fille semblaient étincelants, mais Megumi se dit que cela devait être dû au flash de l'appareil. En se rappelant la vitesse de l'ombre, Megumi se dit que la fille devait courir... très, très vite.

Quelques secondes après le passage de Rei, une ombre noire était passée au-dessus de Megumi, et elle l'avait aussi photographiée. Mais la photo, une fois développée, ne montrait rien. Elle ne découvrit jamais ce qu'était cette créature. Mais elle était contente de ne pas avoir été sa proie.

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Touji rendait visite à sa soeur quand les alarmes de l'hôpital se mirent en marche. "Donc je discutais avec Kensuke et..." Il regarda tout autour de lui. "J'espère que ce n'est pas un incendie. Je vais rester jusqu'à ce qu'ils me forcent à partir." Il essaya de se rappeler ce qu'il voulait dire. "Ah, oui. Donc on se demandait si Shinji... tu te souviens de lui, non?" Il fit une pause, même s'il savait qu'elle ne pouvait pas lui répondre. C'était simplement l'habitude. "En fait, il m'a vraiment aidé. Je crois que ce n'est pas un sale type, après tout. Alors, je voulais savoir si..."

Des coups de feu interrompirent son monologue. Il courut à la porte, regarda de chaque côté du couloir et faillit mourir quand des balles l'effleurèrent. Il eut le temps d'apercevoir une ou peut-être deux créatures noires d'un côté du couloir et quatre gardes de sécurité de la NERV très bien armés de l'autre côté. Il recula, se précipita vers sa soeur, la prit dans ses bras et se cacha avec elle sous le lit jusqu'à ce que la fusillade cesse.

_*_

"Tu sembles aller beaucoup mieux que ton coup de téléphone ne me l'avait fait imaginer", dit Ritsuko en voyant Makoto s'asseoir dans son fauteuil.

"Je me sens bien mieux maintenant. J'ai dû avoir une gueule de bois terrible ce matin", lui répondit-il. "Qu'est-ce que nous affrontons?"

"Ils sont affiliés aux Anges, de la même façon que les rats le sont avec nous", expliqua Ritsuko. "Dangereux et d'apparence terrifiante pour un humain désarmé, mais facilement éliminés avec des armes conventionnelles. Nous n'aurons probablement pas à déployer les Evas pour en venir à bout mais..."

"Mais je préfère que tout le monde soit prêt, si ça se passe comme avec les araignées", dit Misato. "Et nous voulons aussi lancer un assaut sur leur base dès que le satellite espion aura localisé d'où elles viennent."

"Ce sera un bon exercice contre des cibles vivantes même si elles ne représentent pas une véritable menace pour les Evas", ajouta Ritsuko. "Et une Eva devrait être capable de capturer une de ces créatures vivante."

"Il faut juste éviter de les regarder dans les yeux", se dit Misato, légèrement embarrassée. 'J'aurais du faire quelque chose quand elles étaient dans mon appartement.' Sans s'en rendre compte, elle se mit à caresser de la main son médaillon. Cela avait toujours un effet apaisant sur elle. "Je vais mettre une éternité à ranger mon appartement", dit-elle. "Et je ne sais toujours pas comment je vais faire pour remplacer tout ce qui a été cassé..."

"Ces choses ont saccagé votre appartement?" demanda Makoto, horrifié.

"Et elles ont volé les devoirs de Shinji."

"Cela ne fait aucun doute que toute l'attaque n'était qu'une diversion pour voler les devoirs de Shinji", ironisa Ritsuko. "Peut-être même que c'est ça que veulent les Anges."

"Mais elles les ont volés!"

Tout le monde se mit à la regarder, alors elle décida de les ignorer et se retourna vers un écran pour pouvoir bouder sans qu'ils se moquent trop d'elle.

_*_

Shinji se réveilla pour se retrouver revêtu de sa plugsuit à l'intérieur de la plug déjà introduite dans l'Eva 01. "Hé! Qu'est-ce qui se passe?"

Un petit écran vidéo apparut. C'était Misato. "Nous sommes attaqués, Shinji. Il est temps de rendre la pareille aux bâtards qui ont saccagé ma maison."

Il s'en souvenait maintenant. Les créatures. Il en avait écrasé une dans la blanchisserie et puis... plus rien. "Ils ont attaqué notre appartement?"

"Et volé tes devoirs." Shinji entendit des rires et Misato rougit. "Mais c'est vrai!"

Il la regarda, complètement déconcerté. Shinji savait que Misato n'aimait pas les maths, était plutôt paresseuse à la maison et aimait plaisanter, alors il se demandait si ce n'était pas une excuse pour ne pas faire les devoirs. Mais des choses plus étranges s'étaient déjà produites. "Elles ont vraiment volé mes devoirs?"

Misato soupira. "Elles les ont volés!" Les rires redoublèrent. "Bon sang! De toute façon, toi et Rei, vous allez toutes les écraser. Il y en a trois groupes, donc ça sera un simple exercice de recherche et de destruction. Ensuite, on vous enverra probablement détruire leur base que nous pensons avoir localisée."

"On va avoir besoin d'une sacrée rallonge de câble", marmonna Shinji.

"Tu disais?"

"Rien. Rien du tout."

"Tu es prête, Rei?" demanda Misato.

Une petite vidéo de Rei apparut. "Oui."

"Allons-y! Lancez les Evas."

_*_

Gendo comparait une carte topographique avec l'image satellite sur l'écran de son bureau. Fuyutsuki était debout derrière lui et regardait par dessus son épaule. "D'après les observations satellites, c'est ici." Il posa son doigt sur la carte.

Gendo tourna la tête pour lui faire part de ses réflexions. "Je dois admettre que leur assaut est un peu plus créatif que je ne l'aurais imaginé. Il ne faut jamais sous-estimer les fourmis. Une armée de créatures chétives peut gagner avec la supériorité numérique là où un champion solitaire perd malgré sa force."

"Alors qu'allons nous faire?"

"Alertez les forces armées. Un bon bombardement n'a jamais fait de mal."

_*_

Shinji était déchaîné. La seule difficulté qu'il rencontrait pour tuer les créatures avec son Eva était de réussir à les toucher. C'était comme tuer des mouches. Il suffisait de les frapper pour qu'elles meurent, mais elles étaient très petites et agiles par rapport à son Eva. L'Eva de Rei était recouverte de plusieurs taches pourpres et noires, en fait les cadavres écrasés de plusieurs bêtes volantes qui étaient restés collés sur son armure. L'Eva 01 était au contraire immaculée car les créatures que Shinji pulvérisaient sur son armure glissaient systématiquement sur le sol. Une créature avait essayé d'attaquer l'œil de l'Unité 00, mais Rei l'avait piégée puis décapitée avec les mandibules d'araignée que son Eva possédait désormais à l'endroit où aurait dû se trouver sa bouche. Le corps de la bête était toujours empalé dans ses mandibules.

"Essayez d'en prendre une vivante", leur répéta Misato pour la huitième ou neuvième fois.

C'était plus facile à dire qu'à faire. Cela rappelait à Shinji le jeu du poisson rouge auquel il jouait plus jeunes durant les festivals. Il fallait attraper un poison rouge et le mettre dans un récipient en utilisant un filet très fragile. Shinji avait toujours fini par casser le filet ou par tuer le poisson rouge. Et maintenant, son "filet" était incassable, mais il avait laissé une traînée de "poissons rouges" morts sur son passage. Il avait des difficultés à faire des mouvements subtils avec l'Eva. Frapper, démolir ou écraser ne lui posait aucun problème. Mais il était sûr qu'il ne pouvait pas utiliser l'Eva pour écrire un kanji ou saisir quelque chose sans le pulvériser.

"Elles meurent facilement." dit Rei. "Il nous faut un filet."

"Ahh, peut-être que vous pouvez utiliser un AT-field pour en piéger une", répondit Ritsuko. "Mettez vos mains autour d'une créature et concentrez-vous pour en créer un. Cela devrait marcher."

"D'accord", dit Shinji. Les unités 00 et 01 parcouraient une des longues avenues de Tokyo-3 à la poursuite du dernier groupe de ces choses. "Que sont ces créatures, exactement?"

"En l'absence d'un meilleur nom, nous les avons baptisées Chérubins", lui répondit Ritsuko. "Ils sont comme les Anges, mais beaucoup plus faibles. En fait, on peut considérer qu'il existe un sixième règne d'espèce vivante en plus des cinq que nous connaissons déjà*. Les Chérubins et les Anges en font tous les deux parties mais les Anges sont plus grand que les Chérubins, tout comme les humains sont plus grands que les termites."

C'était loin d'être une explication parfaite, mais elle suffisait à Shinji. Et le nom était réconfortant, même si ces créatures ne ressemblaient pas du tout à l'image qu'il se faisait des chérubins. Une fois qu'elle avait un nom, la menace semblait moins dangereuse, plus intelligible. Cela aidait.

Attraper un Chérubin avec la méthode de Ritsuko n'était pas vraiment facile. Les Chérubins volaient autour d'eux comme un essaim d'abeilles et esquivaient les attaques frénétiques de l'Eva 01 et celles plus coordonnées de l'Eva 00. Après plusieurs essais infructueux, Shinji frappa accidentellement l'Unité 00 à la tête, faisant tomber l'Eva et écrasant un Chérubin sur son crâne.

Heureusement, Rei ne sembla pas lui en vouloir. Au contraire, elle se mit à attaquer un Chérubin et le força à esquiver en reculant droit vers l'Eva de Shinji. Les mains de l'Eva 01 se refermèrent comme une cage autour de la créature et se mirent à étinceler à l'instant même au Shinji commença à se concentrer. "Je pense que je viens d'en capturer un!" Le garçon jubilait. Le plan avait fonctionné!

"Bon travail, Shinji. Ramène le Chérubin à la base. Tu penses pouvoir achever seule les dernières créatures, Rei?"

"Affirmatif."

Shinji entendit le bruit de nombreux avions à réactions passer au-dessus de lui et leva la tête. Les avions se dirigeaient vers le nord-est de la ville. "Qu'est-ce que c'était?"

"Rien dont tu ne doives t'inquiéter pour l'instant."

_*_

"Cible en vue", annonça le Capitaine Hikaru Hibino. "Feu."

Des missiles et des bombes tombèrent sur la petite maison perdue dans la forêt. Elle fut réduite en quelques secondes en un tas de cendres carbonisées.

Le capitaine Hibino adorait tout détruire, même si elle en avait rarement l'occasion. Elle se délecta donc de la destruction des voitures, en particulier la Porsche qui lui rappelait beaucoup trop la voiture d'un de ses ex petits amis. Voir le véhicule brûler la fit sourire. La destruction de la Corolla ne fut pas aussi drôle et celle de la SUV-5 fut franchement pathétique. Mais elle garda en mémoire la destruction de la Porsche et se dit que la vie était belle.

_*_

"Tu vas bien Touji?" demanda la déléguée de classe. Elle était brune et plutôt mignonne, bien que souvent très autoritaire. Mais pas cette fois.

Touji avait un bandage sur la tête. "J'ai été frôlé par une balle durant l'attaque de l'hôpital", lui répondit-il. "Je me suis retrouvé en plein milieu d'une fusillade."

"Est-ce que l'un de ces monstres t'a attaqué?" demanda Kensuke. Ils étaient tous dans la cour en train de déjeuner.

"Plusieurs d'entre eux sont rentrés dans l'hôpital", expliqua Touji. "Et plusieurs ont attaqué Rei et Shinji à la blanchisserie." La petite foule d'étudiants qui écoutait Touji tourna la tête et fixa Shinji. Celui ci, surpris par tant d'attention, confirma. "Heu... oui, c'est vrai."

Kensuke se mit à sourire d'une façon diabolique. "Donc, toi et ta petite amie aviez un rendez-vous à la blanchisserie?"

"Ce n'était PAS un rendez-vous!" cria Shinji, attirant encore plus l'attention sur lui.

Megumi marchait vers eux à travers la cour tout en surveillant Rei, qui mangeait seule, loin du groupe. 'Quelle fille timide', pensa-t-elle. 'Mais comment a-t-elle fait...' Il y avait quelque chose d'anormal à son sujet, Megumi en était sûre. Aucun être humain ne pouvait courir aussi vite.

"Mais oui, c'est ce qu'ils disent tous! Tu devrais aller t'asseoir à côté de ta femme, Ikari", plaisanta un garçon. "A moins que tu en aies peur, toi aussi?"

"Vous ne devriez pas avoir peur d'elle!" protesta Shinji. "Elle se bat pour vous protéger!" Il sentit une étrange sensation de chaleur sur l'arrière de son crâne.

Rei le regardait, il en était sûr.

Megumi s'approcha de lui. "Tu as une minute, Ikari-kun?"

"Je...euh... Ils m'ont dit de ne pas parler aux journalistes", répondit-il nerveusement. Il pouvait sentir que Rei s'approchait.

"Donc toi et Ayanami-san, vous sortez vraiment ensemble?" La jeune femme, très professionnelle, prenait des notes.

"Non! Nous ne sortons pas ensemble! Je l'aidais juste à faire ses devoirs!"

Rei arriva très vite. "Allez-vous-en", ordonna-t-elle à Megumi.

"Je peux vous raconter mon aventure à l'hôpital, si vous voulez!" dit Touji alors que Rei et Megumi se faisaient face.

"Je te parlerais plus tard", lui répondit finalement Megumi avant de faire demi-tour et de quitter rapidement l'école.

Rei retournait s'asseoir à sa place quand Shinji lui saisit la main. "Pourquoi tu ne viens pas manger avec nous, Rei?" lui demanda-t-il doucement.

Elle se mit alors à le regarder fixement, cherchant apparemment quelque chose sur son visage. Puis elle sembla se détendre très légèrement. "D'accord." Elle partit chercher sa nourriture.

Kensuke murmura "Shinji a une petite amie."

Et Shinji rougit.

_*_

"Ayanami-san, lisez votre poème," lui demanda le professeur, tout en redressant ses lunettes. C'était le cours de littérature et ils devaient lire leurs haïkus devant tout le monde.

Rei se leva et lut d'une voix monotone son haïku.

Je suis une pilote.
Sous l'œil du ciel, je combats.
C'est pourquoi je vis.*

Elle resta debout et attendit le jugement du professeur.

Il hocha la tête. "Bonne utilisation de la forme, Ayanami-san. D'habitude, le haïku est une observation, bien que cette observation puisse parfois permettre une plus grande compréhension de sa propre situation. Mais vous avez fait exactement ce que je vous avais demandé." Rei sourit très légèrement. "Vous pouvez vous rasseoir, Ayanami-san."

"Touji-san, à votre tour."

Touji se leva nerveusement et froissa accidentellement sa feuille. Il la déplia soigneusement, puis la lut.

La déléguée Hikari,
A besoin de plus gros seins.
Mais elle est mignonne.*

Il regarda fixement le papier. "Hé, je n'ai PAS écrit ça! KENSUKE!"

Kensuke se mit à rire, tout du moins jusqu'à ce que la déléguée Hikari commence à le passer à tabac.

_*_

Ritsuko regarda la créature se précipiter à nouveau contre la vitre. Elle soupira. "S'il continue comme ça, il va finir par se tuer." Le Chérubin ne semblait pas en bonne santé, bien qu'il ait toujours eu un aspect anormal. Il avait commencé à se flétrir et à prendre la même couleur grise que le premier Ange avait juste avant de mourir, la même couleur qu'avaient les échantillons qu'on avait retrouvé après son décès.

"Peut-être qu'il a trop chaud. Je veux dire, il vit dans le vide spatial, non?" demanda Maya qui était debout à côté d'elle. "Et peut-être qu'il ne peut supporter une exposition prolongée à l'oxygène? Ou c'est peut-être photosynthétique."

"Hmm. Tu pourrais voir raison. J'aurais aimé avoir plus de spécimens pour faire des tests... Il sera sans doute mort avant que nous ayons trouvé l'élément qui lui est nocif."

"Ou peut-être qu'il ne supporte pas la captivité?", ajouta Maya. "Certaines créatures se laissent mourir en captivité. Ou c'est peut-être une mue ou..."

"Je me souviens encore très bien de mes études en biologie", l'interrompit Ritsuko, un peu brutalement.

Maya rougit. "Je suis désolée. Je ne voulais pas dire que... Les ordinateurs sont ma spécialité. Je regrette juste de ne pas maîtriser autant de disciplines que vous, Akagi-sempai."

Ritsuko hocha la tête et sourit à nouveau. "Je sais que tu voulais juste m'aider." Elle se retourna. "Rester ici à le regarder ne nous aidera pas beaucoup. Je dois vérifier les tests chimiques."

"Et je dois revoir les rapports sur la bataille d'aujourd'hui", répondit Maya. Elle jeta un dernier regard sur la créature. "Je me demande ce que je ferais si j'étais emprisonnée comme ça dans une cage."

"Quand on est condamné, il vaut mieux se lancer dans l'inconnu en hurlant et combattre son adversaire jusqu'à la mort", dit Ritsuko. "Je crois qu'il essaie de s'échapper. Je le respecte pour cela."

"Je crois qu'il veut mourir", confia Maya. "Pauvre créature."

"Alors c'est un lâche qui mérite son sort", répondit Ritsuko depuis l'ouverture de la porte. "Je ne me suis jamais rendue, même quand la défaite était inévitable. Je ne le ferai jamais. Je n'abandonnerai pas. Il y a toujours un remède. Toujours." Et elle sortit en claquant la porte.

Maya fronça les sourcils. Un remède? Un remède à quoi? Elle n'est tout de même pas malade? Maya ne voulut même pas penser à cette possibilité.

_*_

Une silhouette regarda par-dessus l'épaule de Makoto alors que ce dernier était assis dans son bureau, un compartiment étroit qu'il utilisait rarement. Makoto s'était toujours demandé pourquoi la NERV qui avait construit une ville dont les immeubles s'enfoncent dans le sol, était incapable de construire des bureaux décents pour ses employés. "Bonjour?"

Misato fit tomber une lettre sur les genoux de Makoto. C'était une enveloppe rose avec plein de petits coeurs rouges dessinés dessus. "Quelqu'un est amoureux de Makoto", chantonna-t-elle. "Dis-moi, où nous avais-tu caché cette fiancée?"

Makoto s'empourpra. "Je...Je ne vois pas de quoi vous parlez." Il saisit maladroitement la lettre.

"Allez, ouvre-la. Je parie qu'elle a parfumé la lettre. Hmm... Et elle savait comment l'envoyer ici." Misato lui prit la lettre des mains et commença à l'examiner. "Est-ce que c'est...Maya?"

Makoto lui repris la lettre. "Maya est intéressé par quelqu'un d'autre, j'en suis sûr."

"Si tu ne l'ouvre pas, je vais le faire moi-même!" dit Misato avant de bondir en avant pour lui prendre la lettre. Ils commencèrent à se disputer l'enveloppe et elle changea encore de main une bonne douzaine de fois.

A force de se chamailler comme des enfants, ils finirent par faire tomber la seule chaise du bureau et par renverser une des parois du compartiment de Makoto.

"Hmm. Je vois que vous êtes occupés", leur dit Ritsuko. "Quand vous aurez terminé, j'aimerais parler à Misato." Le docteur fit demi-tour et se dirigea vers un ascenseur.

Misato se lança à sa poursuite. "J'essayais juste de découvrir qui était sa petite amie!"

Alors qu'elles allaient rentrer dans l'ascenseur, Makoto entendit Ritsuko demander: "Et je suppose que le nom de cette jeune femme était écrit sur les sous-vêtements de Makoto ou quelque chose de ce genre?" Les portes de l'ascenseur se refermèrent avant qu'il ne puisse entendre la réponse de Misato.

Makoto regarda tout autour de lui. Tout le monde était parti. Il remit en place sa chaise et ouvrit nerveusement l'enveloppe. Il n'y avait pas l'adresse de l'expéditeur. Et elle contenait une simple note, parfumée au lilas. "J'ai passé de merveilleux moments avec toi. Je t'enverrai les premiers chapitres de 'Amour Interdit à la NERV' dès que je les aurais finis. Je dois quitter la ville aujourd'hui à cause de plusieurs personnes qui me posent actuellement des problèmes, mais je reviendrai te voir quand j'en aurai à nouveau l'occasion. Bonne chance avec Misato. Affectueusement, Akane Toshiba."

Il s'effondra sur sa chaise. 'Je n'ai donc pas rêvé', pensa-t-il. 'Mais comment a-t-elle... Et pourquoi...' Des centaines de questions envahirent son esprit.

_*_

Megumi s'allongea sur son lit d'hôtel, complètement épuisée. Elle se demandait ce que son rédacteur penserait de son article. S'il ne voulait pas le publier, tous ses efforts n'auraient servi à rien, mais...

Elle saisit le paquet de photographies. Elle les avait développées elle-même pour éviter qu'elles ne "disparaissent" dans un magasin. Elle les regardait toutes à nouveau quand elle se rendit brusquement compte que l'une d'entre elles manquait. La photo avec Rei courant à très grande vitesse avec Shinji dans ses bras. Elle avait été remplacée par une photo de la jeune fille en train de courir sur un terrain d'athlétisme. Pas de note, pas de menace, mais quelqu'un... quelqu'un avait remplacé la photo. 'Je n'ai tout de même pas tout imaginé', se dit-elle. 'Sûrement pas.'

_*_

"Elégant", dit Gendo en s'asseyant sur son fauteuil. "Mais elle risque de nous causer des problèmes."

Fuyutsuki secoua la tête. "Pas si nous la guidons correctement. Si nous la surveillons, la guidons et lui donnons des informations inoffensives comme des photographies des pilotes à l'école... elle acquerra une bonne réputation pour ses scoops sans vraiment savoir quoi que ce soit. Et nous pourrons même lancer des rumeurs par son intermédiaire sans que quiconque puisse nous accuser de vouloir manipuler l'opinion publique. Après tout, nous voulons que les gens croient uniquement ce qu'il y a dans nos conférences de presse, n'est-ce pas?" Le vieil homme s'assit dans son fauteuil.

Gendo parut surpris mais finit par sourire. "Très bien, j'autorise votre plan. Il a un vrai potentiel." Il saisit la photo qui était sur son bureau. "Ces imbéciles ne comprennent pas ce qu'est réellement Rei", ajouta-t-il.

"Et nous le savons peut-être?" demanda le vieil homme. "Ce n'est pas parce que nos méthodes sont moins brutales que celles du Massachusetts que nous comprenons complètement ce que nous avons relâché."

"Elle fera ce que nous voulons qu'elle fasse. Quand le temps viendra, elle sera la clé de la porte que nous devrons franchir. C'est pourquoi nous l'avons créée. Et si elle se révèle incapable d'accomplir cette tâche, des substituts seront prêts."

"Si nous arrivons un jour à leur faire garder un état mental stable", répondit Fuyutsuki. "DAGON nous a causé de nombreuses pertes humaines, plus que chacun de nos autres projets." Il fit une pause. "Beaucoup plus."

"La Source est gardée maintenant", dit Gendo. "Aucun imbécile ne viendra tomber dedans." Il se leva. "Je dois maintenant aller assister à une conférence avec mes 'supérieurs'."

"Est-ce que le Second Child arrivera avant la prochaine attaque?"

"Nos éclaireurs indiquent qu'Il n'est toujours pas réveillé, bien qu'Il commence déjà à s'agiter. Et quand Il se réveillera... Nous devrons traverser l'océan jusqu'au lieu où Il sommeille. Je n'aimerais pas vivre à Toronto cette année", conclut-il en se dirigeant vers la porte. "Cela serait beaucoup plus simple si nous pouvions organiser son transfert dans une base sécurisée, mais..."

"Nous aussi, nous avons des limites. Tout le monde a des limites", ajouta Fuyutsuki. "Et nous devons nous en souvenir si nous ne voulons pas être détruits."

"L'humanité existe pour transcender ses propres limites", objecta Gendo. "Je ne laisserai pas mes limites me stopper." Il ferma la porte derrière lui.

Fuyutsuki secoua la tête. "C'est l'apanage des jeunes de vouloir dépasser les limites que leurs aînés ont établies. Mais seule l'histoire nous dira lequel de nous deux a raison." Il se dirigea vers la porte et se mit à murmurer. "Si l'histoire elle-même n'est pas sur le point de se terminer."

 

-Fin du chapitre 3-

 

Notes de traduction

haïku ['aiku] n. masc. Petit poème japonais de dix-sept syllabes, en trois vers, respectivement de 5, 7 et 5 syllabes, et qui évoque un paysage ou un état d'âme.
J'ai tenté de traduire les poèmes en favorisant le sens sur la forme. Les notes de traduction après les haïkus pointent sur la version originale du poème.
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Le premier haïku de Rei:
Five syllable line.
This line is seven syllables.
Five green blades of grass.
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Aldébaran et Fomalhaut : Aldébaran est une étoile de la constellation du Taureau et Fomalhaut une étoile de la constellation du Poisson.
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Le haïku de Shinji:
I stare at the sky,
empty just like my life is,
and wait for the rain.
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Les 5 règnes: La classification des espèces vivantes comprend cinq types(règnes) de forme de vie: les végétaux, les champignons, les animaux, les protistes (les algues unicellulaires) et les procaryotes (les bactéries).
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Le second haïku de Rei:
I pilot an EVA.
Under heaven's gaze, I fight.
That is why I live.
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Le haïku de Touji:
The class president
Really needs some larger breasts.
But still, she is cute.
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